16/05/2022

À Stefania, parce que j'en avais besoin

 

J’ai rêvé de toi cette nuit ; ou peut-être es tu venue me visiter en rêve, je ne sais pas.

Je voyais ton visage lumineux et doux et tu éclatais de rire, de ton rire joyeux, enthousiaste et tendre. Tu t’es envolée le 15 avril 2022, et c’est la première fois cette nuit que j’arrive à me connecter à ton absence. Jusque-là, il y avait ce vide et cette pointe au cœur quand je pensais à toi, que mon cerveau devait faire l’effort de rendre réel ton départ.

Mon rêve ne rend pas pour autant ton absence acceptable, il m’a néanmoins fait du bien à l’âme.

Je t’ai revue quelques secondes, très concrètement et ai entendu ta voix inoubliable et ton rire si tendre.

Tu me manques. Tu me manques énormément. Une partie de moi s’était préparée à ton éventuel départ mais je m’étais toujours refusée à y croire. Je ne voulais pas t’envoyer mentalement du désespoir.

Quand nous nous somme connues, nous étions toutes les deux en année préparatoire du conservatoire de théâtre. Je devais avoir 19 ans, toi deux de plus. Nous étions des enfants. Tu avais déjà cette maturité douce et confiance forte en la vie. Moi j’étais encore blessée par mon adolescence à problèmes. Tu m’as prise sous ton aile et nous avons travaillé ensemble sur un texte à présenter. C’est comme ça que notre amitié a commencé. Puis tu es partie pour Montréal, ce fut long mais pour toi fondateur de tant de choses positives et magiques. À ton retour, tu t’es installée à Lausanne et tu as commencé à travailler. Peu de temps après tu rencontrais David. Je me souviens d’un soir au théâtre 2.21. Tu avais joué et David était venu te voir, autour du verre que nous partagions à la suite du spectacle, il te regardait comme épaté. Cet échange de regards entre vous en disait long, moi je faisais l’andouille comme d’habitude. À la suite de cette soirée, vous êtes devenus Stefania et David, David et Stefania. Votre géométrie qui m’a toujours semblée parfaite aura sans doute nécessité du travail, vos intelligences magnifiques et votre confiance absolue.

Quand je me suis retrouvée à la rue du jour au lendemain après une séparation, vous m’avez hébergée, réconfortée et soutenue comme une petite sœur cassée. Je ne pense pas avoir été en mesure de vous remercier à la hauteur de votre amitié si précieuse à cette période-là. Bien que cette séparation fût la meilleure chose qui pouvait m’arriver, rien n’était simple et sans vous cela aurait été encore pire. Que ces moments partagés sont précieux à mon cœur et à ma mémoire. Nos longs repas ponctués de nos longues discussions à cette table noire, dans votre cuisine où posés comme sur un trône, les chandeliers sculptés par les bougies rouges fondues. Nos rires, les films et séries décortiqués ; nos échanges et confidences, votre amitié. Ton amitié. Entière, omnisciente et indéfectible.

Ton soutien quand dans mes errances, tu me mettais sur une piste juste. La douceur sucrée quand tu me prenais dans tes bras. Je ne sais pas combien de temps il me faudra pour que mon cerveau ne doive plus faire l’effort de rendre ton départ réel. Je n’arrive pas à m’y faire. Ce n’est pas juste, ce n’est pas normal que tu ne sois plus là. Il est aberrant que tes filles ne puissent plus être avec toi, que David soit veuf. Il n’y a rien de normal dans ces déchirures de vie.

Parfois la tristesse laisse place à une colère légère mais intense. C’est quoi ce destin s’il existe ? Où est le sens dans tout ça ? Qui a donné son accord pour ce scénario ? Pourquoi ? Je sais que tu croyais à la lumière, au sens des choses, à ce qui échappe au regard commun. Tu voyais des énergies particulières, tu aspirais à la magie et tu avais ces flashes, ces ressentis. Je t’ai toujours écoutée avec respect malgré mon incapacité à croire. Tu as toujours été la seule que je ne pouvais pas juger quant à son ésotérisme. Tu semblais connectée à quelque chose de plus subtil et je le respectais avec tout mon amour. Je te faisais rire avec mes phrases maladroites sur le sujet ; nous échangions de cette manière. Et cela fonctionnait très bien. Pour moi qui ai toujours cru à quasi rien ou pas grand-chose, ton départ vient interroger cette absence de foi et il est extrêmement troublant parfois, de croire te voir au détour d’une pièce ou assise à table avec moi en ce moment même où j’écris ces mots.

Nous nous sommes peu vues cette dernière année, marquée pour toi par des attaques sournoises de la maladie qui ne te laissait jamais tranquille depuis bien trop longtemps. Malgré tout nous échangions encore par messages vocaux. Je les ai tous archivés, je veux tous les garder, comme les talismans du souvenir. Pour ta voix que j’aime tant et ta façon si particulière de dérouler le sens de tes pensées. J’ai encore écouté le dernier message du 20 mars 2022, dans lequel tu me préviens de la nouvelle épreuve à laquelle tu dois faire face et dans lequel tu me préviens que potentiellement, nous, celles et ceux qui t’aiment allons peut-être devoir faire face aussi. Je n’ai pas voulu entendre je crois. Pas tout de suite. D’ailleurs tu me le demandes, tu es dans la vie, tu es là, prête à te battre encore et tu attends que l’on t’envoie de la force et pas des larmes. Puis il y a la suite, trop rapide, inacceptable et inéluctable.

Je t’ai vue le 12 avril, j’ai pu te dire que je t’aimais et j’ai été si fière d’être là pour toi, David, Eva et Norah. Un moment suspendu d’une beauté si cruelle et d’un amour si puissant. Ces minutes restent gravées dans ma mémoire et mon cœur, pour toujours. J’aurais aimé te revoir encore. J’aimerais simplement que tu sois là. Guérie et forte. Tu l’étais dans mon rêve.

Nous ne devrions pas perdre nos amies si jeunes. Le cancer ne devrait pas exister. La justice des existences devrait être possible. Tu serais encore là, et nous irions boire un verre en terrasse. David devrait t’avoir à ses côtés et Eva et Norah devraient avoir leur mère.

Poser des mots sur cette injustice est un exercice du deuil peut-être mais cela a quelque chose d’ingrat. Je déteste cette expérience de vie. Elle est âpre et douloureuse. Elle fait mal au vide du dedans. Est-ce qu’un jour tu ne traverseras plus mes pensées chaque jour ? Est-ce ce fameux temps qui rend tout ça plus ou moins acceptable ? L’absence prend-elle un jour la forme d’une routine ? Autant de questions que la grandeur du vide.

En 2018, pour mes 40 ans tu m’avais écrit au début d’un petit carnet que tu me souhaitais de m’envoler en couchant sur ce papier cette créativité qui s’échappait de moi dans tous les sens. Tu me souhaitais de m’envoler. C’est toi qui t’es envolée ma douce. C’est comme ça que tu m’appelais, …ma douce.

J’espère que la lumière à laquelle tu tenais tant a pu t’accueillir et t’envelopper. J’espère que tu as eu des réponses ou des confirmations. J’espère que tu as pu retrouver des être aussi doux et aimants que toi et que depuis cette autre dimension que nous nommons la mort, tu es encore là, quelque part et que tu veilles sur les tiens.

Je t’aime mon amie. Merci de venir rire à mes blagues dans mes rêves. Surtout continue. Je ne veux jamais oublier ta voix.  

 

Cette photo est la dernière que je t'ai envoyée le 22 mars. Je te louais les cerisiers en fleurs.

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