05/09/2013

Midwest, volonté et ressenti


J’ai toujours pensé que la volonté était une capacité inscrite en chacun de nous ; toujours, jusqu’a ce que je constate que cette dernière était peut-être en moi et que je la projetais chez les autres.
Nous ne sommes pas égaux sur ce plan. Il y a un déséquilibre des capacités en chacun. Pour ma part, ma volonté d’avancer et de me transformer est un moteur de vie et c’est sans doute grâce à elle que je suis encore là à tenter d’équilibrer la balance interne de mes émotions.
Après je reste tordue malgré tout, tordue comme un trombone. Dans les coudées de l’objet s’accroche les choses vues, ressenties, entendues et parfois comprises. Elles s’y accrochent et s’y entassent.

J’ai voulu oublier mon envie d’écrire, j’ai voulu cesser de me mettre en état méta mais il a fini par me rattraper dans un des virages du parcours. Cet endroit était pourtant confortable, j’y entassais tel le hamster que je suis, des paillettes, du kitsch, des plumes et des fourrures. Insouciante, je me pensais vraiment sortie d’affaire, je me laissais vivre avec comme seule préoccupation la couleur de mes ongles.

Sur les routes des Etats-Unis, en rendant réel un de mes voyages rêvés, j’ai voulu ressentir chaque chose à chaque moment. De temps en temps, j’avais peur car je ne ressentais pas. Cette peur assombrissait le virage-refuge le temps de quelques miles.
Des petites entailles dans les tissus précieux m’ont rapprochée à nouveau de cette autre partie de moi. Celle où se trouve la volonté, la volonté de ne pas y rester.
Au retour, telle une tornade de l’Arkansas, les questions sont tombées et ont arraché les toits. J’aurais préféré rester aux alentours de la Nouvelle-Orléans, à contempler le végétal à perte de vue, mais il m’a fallut revenir là où tout est un peu à l’étroit. Là où les sentiments débordants, il faut repenser les fondations pour que cela tienne debout.

Il n’y a donc jamais vraiment de repos ? Le travail se devrait donc d’être permanent ?
Cela signifierait donc que toutes ces choses qui brillent et que j’aime ne sont que des artefacts de l’enfance à laquelle je m’accroche ? Que mon besoin d’être rassurée n’a rien à faire dans cette trentaine…
Oui, il est trop tard pour les caprices. On ne peut pas sans cesse aller de l’avant puis revenir en arrière, c’est aussi à cette forme d’acceptation que doit se raccrocher la volonté.

Ressentir…la volonté de ressentir…
Parfois, une musique entendue dans un club de Nashville rendait le ressenti immédiat, entier et fort. Partir à la poursuite des animaux sauvages de la Natchez Parkway apportait de l’oxygène aux cellules, tout comme avoir envie de rester sur les rives du lac Michigan afin de se laisser aller là, se laisser aller à l’avenir, en confiance, main dans la main.

En trois semaines de route, du nord au sud, du sud au nord, mes yeux ont emmagasiné tant de paysages qu’il me semble que je n’ai pas encore eu l’occasion de tout digérer. Il m’est encore impossible de mettre en balance tant de contradictions émergeantes au détour des rues d’une ville « morte » où toute vie est suspendue, où la pauvreté violente arpente les trottoirs comme à Memphis ou à Gary, à quelques kilomètres du centre ville de Chicago.

Cette violence était aussi troublante quand les gens croisés semblaient avoir abandonné la volonté ; la volonté de bouger leurs corps handicapés par cette nourriture irréelle avec laquelle tout le monde parait obligé de se nourrir. En face, les starlettes de la country avec leurs cheveux interminables en trapèze battaient le pavé dans leurs santiags pailletées.

Au détour d’un magasin de souvenirs nommé « musée » une statue d’Elvis ratée narguait les passants émus par cette authenticité fabriquée.

Il y aurait tant de moments à décrire, d’émotions sourdes à dire ; la larme versée sur les tombes de Johnny Cash et June Carter, les rires à Graceland, un sac plastique par objet à la caisse des supermarchés, les gens cools-vegans-tatoués de West Chicago, les rednecks du Kentucky, les orages cataclysmiques du Mississippi, les yeux des alligators, le goût des crevettes des eaux profondes, le regard des gens et leur « how u doin’ » et « awsome » , le sens du business Amish malgré leurs carioles, l’horizon infini, les gas and food, les colliers aux arbres de New Orleans, l’odeur putride des climatisations des motels, une église par habitant, la musique, les musiques, la bienveillance des gens du sud qui s’étonnent que l’on soit si loin « so far from home », l’envie de manger un fruit, juste un fruit, l’envie de marcher sans le pouvoir, Biloxi, Tupelo, la douceur du mot « Swamp », l’architecture délirante de Chicago, la Dodge Challenger dans laquelle il m’était difficile d’atteindre les pédales, le bourbon, le café des autoroutes, le monde à part des camions et de leurs conducteurs, les chapeaux de Madame Meyer, les blessures non refermées de Katrina, les rangers dans les grottes, la nourriture beige, l’histoire de Rosa Parks, le racisme bien vivant, ces mondes cohabitants sans se rencontrer, ces héroïnes de cabaret burlesque vendeuses de vintage, les magasins de cailloux et de pierres, la piscine guitare, les heures surréalistes passées en voiture, le bonheur de partager ce voyage, l’envie de rentrer, la peur de rentrer, l’envie d’y retourner…

L’image est commune, pourtant juste là, il me semble que les routes américaines sont comme une analogie de nos vies, elles semblent droites et interminables. On doit pourtant s’arrêter pour profiter de ce paysage changeant. La Louisiane est un paradis, l’Indiana ressemble à l’enfer. Tout y est si grand que nos sentiments parfois ne sont pas assez larges pour s’y épanouir. À peine le temps de reprendre le souffle de la volonté.

Issue de la vieille Europe, je tends à essayer de comprendre au lieu de laisser la place à l’émotion.

Je me vole en essayant de me raccrocher à ce qui me rassure. À présent je suis dans l’âge du Midwest.








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