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26/11/2018

Un caillou

Voilà, ça y est, j’ai 40 ans. Logiquement, et bien que je tente malgré tout de ne pas le faire, cet âge occasionne depuis un moment comme une sorte de bilan mental. 
J’ai pourtant la sensation de ne pas être particulièrement en crise ; ni plus ni moins qu’avant en réalité. L’intranquilité est chez moi une façon d’être au monde, sans doute.
C’est ce caillou dans la chaussure qui m’empêche d’avancer de façon totalement sereine.
En même temps, cette dernière année ne fut pas la période la plus simple de mon existence ; mais elle a eu pour résultat de placer en perspective pas mal de choses en moi et de rétablir une sorte d’équilibre du regard sur ce que je vis et ce qui m’entoure.
Être confrontée à la médecine pédiatrique, la vraie, les épreuves liées à la santé d’un nouveau né, les séjours à l’hôpital, les croyances, les désirs de magie et j’en passe, m’ont rendue assez intolérante à l’ésotérisme de réseaux sociaux, à la bienveillance de pacotille et aux gourous en tout genre qui prône la fin de l’égo tout en vendant le leur, lequel en général prend plus de place que tous les malaises réunis de leurs suiveurs.
Pourquoi je m’agace avec ça ? N’est ce pas un peu d’énergie perdue ? Et finalement n’est ce pas tout aussi ego trip que de l’écrire pour le partager…?
Peut-être. Mais en même temps je n’ai rien à vous vendre, je n’estime pas être apte à vous aider pour quoique ce soit. Je vous parle ; si ça vous dit vous lisez et sinon vous laissez. 
Je suis hyper perdue face au flot quotidien d’informations, aux polémiques,  aux nouvelles modes alimentaires, aux tendances des pensées, aux néo-réacs qui pullulent dans tous les coins sous couvert de déconstruction du progressisme…
Sociologiquement, réflexe de base chez moi, j’arrive à faire le tri, à raisonner. Mais l’émotionnel vient toujours bousculer mon pragmatisme et ma capacité à m’en foutre pour me donner envie de « faire justice » (enfin comme j’estime que c’est juste bien sûr).
Je suis profondément atteinte par les choses que je ressens comme injustes, toujours et depuis toujours. Cela me tend, me fait mal et parfois m’attriste intensément.
Il y a ces temps tellement de petites roues dans ma tête que j’ai du mal à faire le tri. Je n’ai plus beaucoup de temps à moi, hormis au milieu de la nuit comme maintenant. Je n’ai plus le temps d’écrire autant qu’avant alors que j’en ai un besoin quasi physique. Mes carnets restent vides. Je ne me suis toujours pas remise au sport, alors que mon corps à présent trop lourd le demande en criant chaque jour. Bref je me plains et m’agace, mais c’est cette colère qui me fait avancer, qui me permet de ne pas me contenter et de me battre pour ce qui me tient vraiment à cœur. 

C’est presque une forme de rage. Je ne suis pas agressive, enfin pas souvent, mais je peux l’être quand ça sort de moi et que je ne parviens pas à le dompter. 
En même temps compte tenu de mon histoire, c’est quelque chose d’assez normal. J’ai passé beaucoup trop d’années à ne pas écouter mes pensées et envies. On m’a pendant longtemps aussi fait penser que je n’étais pas totalement équilibrée (comme si c’était possible) ; on m’a gavée de médicaments sans trop écouter ce que je racontais entre 15 et 20 ans. 
J’ai fait les frais d’une psychiatrie assez agressive de province française. 
Il me faudra sans doute un jour écrire sur le sujet.
Il aura fallu certaines rencontres pour que je remonte dans ma propre estime mais surtout il aura fallu que je le décide. Car je le pouvais. Cela n’est pas toujours le cas, on ne le peut pas forcément. Mais personnellement, le choix, la décision, auront toujours été porteurs d’énergie folle et de changement. Je ne parle pas de la décision que l’on prend au quotidien de faire une chose ou l’autre. Je parle de cette décision qui vient du plus loin en soi ; celle qui ne te laisse plus aucune autre possibilité que de l’écouter et d’agir en conséquence. C’est cette dernière qui m’a donnée la possibilité d’accepter de ne pas voler toujours complètement droit, de m’égarer souvent pour cueillir des fleurs au lieu de planifier le bouquet. Mais c’est cette ballade dans un monde où je me suis toujours un peu sentie sur le côté, ballade que j’ai décidé d’entamer vraiment vers 20 ans avec un caillou dans la chaussure au lieu de m’arrêter dans un coin sombre, qui a fait qu’aujourd’hui je me sens presque complète. 

J’ai la chance d’avoir construit une bulle qui me rend intensément heureuse. Il manque évidemment une autre bulle, celle des heures les plus longues de nos semaines, celle où j’accepterais enfin d’avoir des ambitions et peut être des talents pour des choses. Oh je m’en sors toujours bien sûr, mais ce n’est pas vraiment complet. Et trop de trucs m’agacent tout le temps, ces « trucs » je les vois en général dès que j’arrive dans un système. C’est un peu fatiguant car même si je tente de ne pas les voir, ils me tapent à la figure quand même. Et il ne s’agit pas d’avoir raison, il s’agit alors de supporter ces trucs et de survivre dans ce système et surtout de se planquer un peu sans trop souvent hausser la voix. Faire tranquille ce qui nous est demandé sans trop pester contre les règles. On se fait à tout, un peu comme on se fait au lait de soja. Pour tout vous dire je trouve même ça bon. En même temps je n’ai jamais vraiment aimé le lait. 
Ce qui me ramène à ma fille, qui elle non plus depuis qu’elle mange enfin sans sonde et pompe, ne veut pas voir approcher de sa bouche du lait artificiel à base de lait de vache. J’entends déjà celles et ceux qui me diront que le lait pour bébé, le vrai, est le lait maternel ; bah oui elles et ils ont raison mais en même temps je les emmerde là pour le coup, car leur bonne conscience n’aura sans doute jamais été confrontée à devoir faire avec la situation où t’as même plus le luxe de te demander si tu continues l’allaitement ou si tu passes au biberon. Quand tu vis ce genre de chose, tu fais comme tu peux, pas seulement comme tu veux. Dans ces cas là, le principe de décision que je chéris tant n’ose même pas approcher ton esprit sous peine de s’en prendre une.

Il est difficile encore à présent pour moi de faire la paix avec cette épreuve. Depuis que les choses vont mieux et que seul à présent le fait que tout ira bien est la seule chose qui compte, je constate encore que les traces sont là et peinent à partir.
Ma fille d’abord qui a développé une rage absolue de vie. Elle aura passé ses 4 premiers mois de vie avec un tuyau dans le nez et à dormir énormément, l’œil triste et la peau beaucoup trop pâle. 
À présent, si elle fait une sieste par jour et s’endort le soir, c’est la fête. Du jour au lendemain, elle est devenue un autre bébé. Sans doute peut-être celle qu’elle est depuis le départ mais que l’insuffisance cardiaque empêchait d’éclore. Il y a en elle un tel désir d’en découdre que ça en est parfois troublant. Elle est énergie, joie de vivre, motricité de dingue et vivacité d’esprit indéniable. Parfois elle semble incapable à calmer. 
Nous ne sommes plus épuisés par l’inquiétude, nous sommes simplement épuisés.
De mon côté, je me suis construit une carapace de chair. Quand ma fille ne mangeait pas, je dévorais. Il va me falloir du temps pour laisser tomber cette protection. Il va me falloir beaucoup de temps pour accepter que je n’y suis pour rien et que je n’ai plus ou tout simplement pas, à porter tout ça.

C’est bon Virginie. On peut passer à autre chose, reprendre la ballade, continuer à voir les couleurs, à les capturer parfois comme pour ne jamais les oublier. On peut envisager de commencer cette nouvelle dizaine en continuant le chemin mais cette fois en essayant peut-être de réaliser les ambitions soldées et surtout en laissant tranquille ce caillou que j’ai mis tant d’années à aimer.



28/05/2018

Nouvelles du tunnel n°2 et petit chemin de déconstruction

Est-ce qu'il existe un mot en français qui traduit l'ambivalence d'un ressenti ? celle qui te fait ressentir en même temps une forme de tristesse lasse et de satisfaction joyeuse...? J'ai beau chercher, je ne trouve pas. Cela ne rend pas mes introspections quotidiennes très confortables car je déteste ne pas trouver le mot qui convient. Quoiqu'il en soit, cet état sur lequel je ne peux pas mettre de qualificatif, est celui dans lequel je me trouve en ce moment. Pourquoi?
Parce que le dernier contrôle cardiologique de Wilma est bon, enfin les pronostics sont bons; sur les deux communications dans son coeur qui ne devraient pas être là, une s'est quasi complètement refermée et l'autre s'est réduite de moitié. Ainsi, si cela continue, ce petit coeur en gruyère de dessin animé (puisqu'on sait tous et toutes qu'il s'agit en fait d'emmental) ne devrait pas subir d'opération. 
C'est une formidable nouvelle n'est-ce-pas?! Mais voilà... elle ne mange toujours pas sans l'aide de ce petit tuyau dans son nez. Selon sa cardiopédiatre, dont les compétences ne sont décidément pas à mettre en doute, (je la surnomme "URSS") il est à présent impossible que ses problèmes alimentaires continuent de venir de son coeur car, même si pas encore guéri, il va mieux et ne cause plus d'insuffisance cardiaque ni de surcharge de l'artère pulmonaire (oui entre temps j'ai fait médecine sur Wikipédia et dans les groupes Facebook de parents d'enfants avec des cardiopathies).
Donc pour elle, une explication possible est qu'elle soit devenue dépendante à la sonde naso gastrique; elle souhaite donc l'hospitaliser pour tenter un sevrage. On entre au CHUV demain. 
Je ne vous cache pas que j'y vais un peu à reculons même si je suis la première à souhaiter qu'on se débarrasse de cette satanée sonde. Voilà donc pour les nouvelles du tunnel. C'est plutôt en bonne voie évidemment et je devrais me réjouir. Il y a une chose que j'ai apprise depuis ces trois mois et demi, c'est qu'il faut garder la tête froide pour pouvoir la garder sur les épaules. Je pense que je serai capable d'être vraiment soulagée et heureuse qu'au moment où ma fille sera considérée comme totalement guérie, et cela implique donc qu'elle mange par elle même. 
Demain, donc, nous entrons au CHUV pour ce sevrage, sans savoir quand nous en sortirons. Demain donc, il va nous falloir à nouveau "dealer" avec le cortège de médecins assistants, de chef.fe.s de clinique et de médecins cadres qui changent plus ou moins toutes les semaines, à qui il va falloir expliquer à chaque fois le dossier de Wilma et qui auront chacun.e leur tour des idées valables ou saugrenues. Il faut avoir confiance, bien sûr. Heureusement toutefois que "URSS" sera au même étage et pas loin pour superviser si cela ne se passe pas bien cette fois. 
Je suis dure avec les soignant.e.s, je sais, je suis une maman pénible. Mais sincèrement, quand après plus d'un mois à l'hôpital de l'enfance, une des médecins nous dit "faut rentrer chez vous car au final ici, on ne vous fait plus que le gite et le couvert" alors que votre fille ne mange toujours pas et qu'elle n'a eu que deux examens en 5 semaines...on a quand même envie de casser des meubles.
Malgré tout, j'avoue que nous allons mieux, on s'habitue à tout peut-être, mais aussi parce que cette enfant nous montre chaque jour comme elle se bat, comme elle rigole, comme elle nous sourit et on sait que bientôt, ce sera derrière nous. Enfin on l'espère. Parfois j'ai peur qu'il y ait de nouvelles mauvaises surprises, ce genre d'épreuve rend un peu parano. J'ai peur qu'on lui trouve une autre maladie, une autre malformation quelque part, qu'elle ne parvienne jamais à manger seule ou qu'elle développe trop de troubles d'oralité. D'un autre côté, je me dis que ça suffit à présent, et qu'il n'y a pas de raison que cela ne s'arrête pas et que l'on puisse retrouver une vie un peu normale.
Partir quelques jours en vacances avec les kids par exemple, se promener avec Wilma sans que les gens la regardent bizarrement et avec insistance parce qu'elle a une sonde et des sparadraps. Ne plus être dépendants des heures de repas à la pompe et donc dépendants de notre domicile, voir des ami.e.s, faire des trucs, des choses, autre chose. Et se dire que non, peut-être, elle n'aura pas à être opérée "à coeur ouvert",  expression utilisée à outrance sur les forums de parents d'enfants cardiopathes comme pour montrer à quel point c'est plus grave et plus important. Alors oui bien évidemment ça l'est, mais c'est surtout je crois pour ces parents une façon de dire que ce sont eux qui survivent à cette opération, peut-être plus que leur enfant qui n'en gardera qu'une longue cicatrice sur le thorax. 
On gère comme on peut ces épreuves, avec des bagages différents et inégaux, c'est comme ça.
Ahhh, ces forums. Je ne pensais pas qu'ils pourraient m'être d'une vraie aide ni qu'ils me permettraient de faire la connaissance de personnes formidables avec qui échanger sur le seul sujet qui nous passionne vraiment en cette période de nos vies. Ils sont aussi par contre des endroits où la faillite de l'orthographe est extrême, mais je ne souhaite pas que l'on m'accuse de mépris de classe, je constate ça uniquement d'un point de vue sociologique. Dans la même idée, ce sont des plages d'expressions de croyances et de constructions qui peuvent parfois faire sourire ou inquiéter. Si la grande majorité des parents sur ces forums ont confiance en la médecine classique, la cardiologie en effet, ne laisse que peu de place à l'homéopathie, ces fils de discussions m'ont montré à quel point la parentalité d'enfant malade faisaient ressortir des schémas, des blocages, des frustrations et des colères. Beaucoup par exemple, préfèrent se fier aux explications des parents du forum plutôt qu'à celles de leurs médecins après un contrôle. De là à y voir un gros problème de communication de la part des soignant.e.s il n'y pas beaucoup de pas à faire. Il y a aussi parfois une sorte de concours des parents qui ont les enfants qui ont le plus souffert, ou qui ont eu le plus d'opérations avec les vieux qui "savent" et qui expliquent et interviennent à chaque fil de discussions.
De plus, ces espaces sont considérés comme safe par la plupart des intervenant.e.s, ainsi les gens n'hésitent pas à partager des photos de leurs enfants sous toutes les coutures et à comparer leurs cicatrices. Il y a aussi les photos des tatouages qu'ils et elles se font (souvent elles en fait) des fréquences cardiaques de leurs enfants ou de leurs prénoms. J'ai même vu passé il y a peu de temps quelqu'un qui regrettait de ne pas pouvoir se faire faire un scarification pour avoir la même cicatrice que son enfant mais qui malgré tout allait se faire tatouer l'équivalent au même endroit. 
J'en suis restée assez dépassée par une telle volonté, j'avoue. Je me suis aussi un peu tapé le front avec le plat de la main en me demandant combien d'années de thérapie il faudrait à ces parents pour dépasser ces souffrances, les leurs mais aussi celles de leurs enfants qu'ils et elles doivent exprimer par procuration puisque ces derniers souvent encore bébés ne sont pas à même d'exprimer. C'est une double peine en quelque sorte.
Puis je me suis reprise, j'ai rangé mon sarcasme habituel dans un tiroir de ma tête et je me suis rappelée que j'en faisais partie de ces parents. Que sans doute, moi aussi, j'irais me faire tatouer quelque chose après tout ça. Que moi aussi il m'arrivait de démarrer un fil de discussion en demandant conseil et que moi aussi j'avais repris une thérapie pour pouvoir gérer en parallèle et que c'est une question d'hygiène mentale urgente. Bon le problème souvent, c'est que ces parents ne demandent pas d'aide pendant et se ramassent la claque après. La seule fois où j'ai demandé à une maman qui me disait galèrer moralement si elle voyait quelqu'un pour l'aider, cette dernière m'a répondu qu'elle allait très bien merci. Double peine donc et deux poids deux mesures, les masques sociaux des forums et les ressentis bloqués d'ordre privés; on s'étale tout en gardant pour soi ce qui fait vraiment mal. Simple, basique.
Il est difficile de rester dans la bienveillance constante, difficile de faire confiance, de continuer à avancer quand le hasard de la vie vous vole du bonheur au profit d'une joie en demi teinte. 
Quand on devient parents, on se rend compte que nos enfants nous apprennent plus sur nous-mêmes que nous ne le pensions possible. Ils sont là, bébés, ne pouvant pas encore parler et pourtant s'engage avec eux dès la naissance une discussion de la connaissance, une révélation quasi mystique quant à l'existence. Quand on met au monde un enfant qui en plus arrive avec une malformation et donc une maladie, cette conversation en est encore plus dense et surtout empreinte quelquefois de plus d'ambivalences. Il est compliqué de rester conscient de ce que cela provoque, des peurs de perte comme des peurs de rancoeurs, de surprotection ou encore parfois de désintérêt par épuisement. Pire encore, la question de l'amour que l'on ressent, du lien que l'on retient un peu comme pour ne pas trop souffrir si cela tournait mal.
Identifier ces ressentis et surtout être à même de les exprimer est un exercice qui peut être si pénible qu'à la fin, je ne peux que comprendre l'envie de se faire tatouer une fréquence cardiaque plutôt que de s'exprimer consciemment. Ce genre de moments de vie plonge dans une vase si sombre qu'être lucide et conscient, semble bien impossible.
Voilà, je vous aurais bien parlé d'autre chose, de croyances ésotériques qui m'interrogent, des dernières polémiques dans mon si cher pays qu'est la France, le voile de la représentante de l'UNEF (je me serais encore faite traitée d'islamo-gauchiste), cet homme qui se voit naturalisé pour avoir sauvé un enfant de façon hallucinante et qui ne l'aurait sans doute pas été sans son geste formidable (comme si le passeport devait se résumer à l'héroïsme), de féminisme (non il n'y a pas de hiérarchie dans les combats) d'écriture inclusive (je ne sais pas faire le point médiant sur mon ordi et ça m'énerve) de la Russie (parce que c'est mon autre passion) de mes presque 40 ans (deux enfants, corps en ruine, je sais on s'en fout mais ça fait mal quand même) de mon récent mariage (oui j'ai changé de nom de famille, j'ai choisi de perpétuer une norme patriarcale, pardon) de mon manque de sorties culturelles (comme dirait une quadra, oh wait...ah ben oui j'ai 40 ans cette année) de mon manque de voyages (en Russie mais pas seulement) de mes interrogations professionnelles (que compte tenu de mes prochains 40 ans, je ne peux plus trop me permettre) de mes plans de carrière (non je déconne)...sinon je vous ai dit que j'avais 40 ans cette année?
Voilà, je vous aurais bien parlé de tout ça aussi, mais en ce moment je n'ai pas trop de place pour autre chose que ce dialogue avec mon deuxième enfant qui chaque jour m'apprend un peu plus sur le mystère de nos cellules, de nos pensées, et pour cela je ne peux que lui dire que je l'aime et lui dire merci.




11/04/2018

"I would swim the seas for to ease your pain"

Avoir mal au point de devenir compacte et imperméable est une chose nouvelle pour moi. C'est pourtant un ressenti que j'expérimente très concrètement ces dernières semaines. 
Certaines épreuves de vie sont parfois si intenses qu'il me semble que notre esprit est alors capable de déclencher un système pour nous permettre de les traverser sans trop y laisser des bouts de peau vifs. 
Ces jours, quand je me dis que d'ici quelques mois nous pourrons sans doute, je l'espère, parler de tout ça au passé, il ne me semble pas néanmoins que nous en ressortirons alors plus "grands" ou que nous en tirerons forcément quelque chose de formidable.
Cette idée que l'on ressort plus fort des épreuves commence un peu à me gonfler à vrai dire.
Je comprends, bien sûr, que de se dire ce genre de chose peut aider à traverser ou simplement regarder en arrière et penser qu'alors on n'a pas vécu tout ça pour rien...Mais d'un autre côté, cela revient à justifier tout ce qui nous a fait mal, ou en tout cas, dédouaner tout ce qui a été surmonté.
Je crois qu'en fait cela ne me parait pas juste, pas équitable.
Alors évidemment, les épreuves laissent des traces, amènent des changements internes et profonds, je ne peux pas le nier. Mais nous avons tous une plasticité cérébrale réelle et quoiqu'on en pense, on oublie toujours un peu. En ce sens, j'ai vraiment hâte d'avoir un peu oublié. 
Avoir un peu oublié que ce n'est pas vraiment comme ça que j'imaginais notre congé parental et encore moins comme ça que j'imaginais les débuts de vie de notre fille.
Wilma se bat comme la reine des dragons mais Wilma est aussi un bébé de deux mois qui aura bientôt passé plus de temps à l'hôpital que chez elle, dans un stress constant. Les soins qu'elle reçoit son nécessaires mais elle n'a jamais la paix. Dès qu'elle est un peu calme, on en profite pour lui faire des contrôles divers et variés, des prises de sang, des soins de sonde ou encore simplement lui faire manger des calories sans qu'elle les mange par la bouche. Elle est entourée de bruits, de bip bip, de gens qui changent toutes les 8 heures, elle vit dans un aquarium bleu dans les bras de ses parents et pleure dès qu'on la couche hors de ses mêmes bras. 
La voir en larmes devrait me paraitre naturel, c'est un bébé, les bébés pleurent. Mais voilà, quand mon bébé pleure, c'est mon bébé malade qui pleure, alors je panique un peu et me demande toujours si ces pleurs indiquent une souffrance liée à son coeur, à son "état".  Il m'est très compliqué de voir mon enfant comme simplement, une enfant, et c'est sans doute la prochaine étape à surmonter pour moi dans ces prochaines semaines. Car bientôt peut-être nous sortirons de l'hôpital, nous rentrerons à la maison, avec peut-être des soins à domicile et un bébé qui ne pourra peut-être pas manger la totalité de ce qu'elle doit pour grandir par elle-même.
Son petit coeur lui joue des tours...oui les médecins se sont finalement mis d'accord. C'est sa malformation cardiaque qui la fatigue trop et l'empêche de pouvoir se nourrir totalement de façon autonome. Ils ont finalement mis en place un traitement pour soulager coeur et poumons, cela fonctionne, elle semble moins fatiguée et peut à présent manger un peu mieux par elle-même, bien que pas encore assez.
Voilà, je vous donne des nouvelles... je ne veux toujours pas de violons.
Wilma n'a pas de maladie inconnue ou dramatique, sa vie n'est à priori pas en danger; il y a bien pire. Ce n'est pas ça qui est important.
Mais il faut de la force, énormément; et encore davantage, de patience.
Je n'en ai pas, ou si peu. Plus le temps passe et plus je développe une forme de rage des choses qui ne vont pas assez vite. J'ai la sensation que nous sommes dans un tunnel dont on ne voit pas le bout, un peu comme être en panne au milieu du Gothard. Je ressens aussi beaucoup de colère et de tristesse et une sensation d'injustice un peu absurde car encore une fois, et là j'en suis persuadée, il ne peut pas y avoir de justice car il n'y a pas de destin.
Je suis insupportable et narcissique dans ma douleur, c'est chiant pour l'entourage et ça n'aide pas mon bébé. 
Sans doute que dans ce genre de situation, on réagit comme on peut, avec des dispositions de base toutes différentes selon les personnes. Mais c'est une souffrance aigüe de découvrir quelques jours après avoir donné naissance à un bébé porté 9 mois, que ce dernier à un problème de santé. Il est très compliqué de ne pas savoir de quoi va être fait le calendrier des prochains mois, de ne rien savoir du tout, de devoir attendre, espérer, pleurer, rire malgré tout, vivre normalement mais avec une famille en deux partie et essayer tant bien que mal de tout concilier.
J'ai tellement hâte de voir Wilma courir après son grand-frère avec un coeur tout réparé.
Souvent, quand elle est endormie contre moi, j'imagine mon coeur qui envoie au sien des éclairs de réparation, j'imagine une chaleur qui part de ma poitrine pour aller vers la sienne pour lui donner de l'énergie. Oui, on peut ne pas croire au destin et avoir quand même des pensées magiques. Cela ne fait pas de mal, ça aide aussi à tenir debout.
J'écris ce texte sans vraiment trop savoir où je vais, j'ai du mal à prendre de la distance, je brûle d'épuisement au milieu de ce tunnel et je ne sais dire que "je". J'aimerais juste pouvoir dire "nous" sans que cela fasse ce coup d'aiguille dans la colonne et dans le ventre. Cela viendra, cela vient déjà mais je ne m'en rend pas compte. Vivre au jour le jour n'est plus du tout une vue de l'esprit, c'est devenu notre quo tidien dans un monde qui n'aime pas ça. Nous continuerons à avancer vers l'issue tandis que le monde oubliera car le monde sera déjà passé à autre chose. 
Cette épreuve est là pour nous apprendre une nouvelle patience, que nous oublierons sans doute dans la joie d'un quotidien futur. Cette patience est une carapace qui se met en place progressivement, elle recouvre chaque parcelle de nos corps et de nos âmes écaille après écaille. C'est une métamorphose transitoire, le temps que deux trous au coeur en se fermant nous permettent de trouver la sortie du Gothard de nos ressentis.

Cette version de la chanson de Townes Van Zandt...












24/03/2018

Le souffle du coeur

Six semaines aujourd'hui ont passé depuis que j'ai donné naissance à mon deuxième enfant, une petite fille aux prénoms de guerrière et aux yeux bleus intenses et grands ouverts sur les combats qui l'attendent. Tout aurait pu se passer différemment bien sûr, notre fille aurait pu venir au monde dans un bouquet quasi printanier et facile. Mais c'était sans compter sur ce hasard, sur cette vie, cette dimension, cet univers qui parfois font que rien ne se passe comme on le souhaite. 
Dans mon article précédent, j'exprimais mes choix et mes envies pour cette nouvelle naissance, tout en étant bien consciente que je ne pouvais bien sûr absolument rien contrôler. 
Pour la grande angoissée que je suis, ne rien contrôler est un drame. 
C'est ce drame qui me fait revenir dans ces moments là à tout un système de croyances basé sur des pensées magiques et qui me font souvent regretter de ne pas avoir la foi en Dieu ou en n'importe quelle force éventuelle qui dépasserait tout. 
Même si je suis arrivée à l'idée qu'il n'est pas plus absurde de croire en Dieu que de ne pas croire, puisque l'on ne sait rien; mon esprit a quand même toujours eu tendance à choisir la science et à aimer les religions seulement pour ses décors. Toutefois dans les moments comme celui que nous sommes entrain de traverser, j'avoue qu'un peu de syncrétisme a tendance à apaiser mes peurs, c'est nécessaire sans doute pour pouvoir accepter et vivre ce qui n'a pas de sens et qui fait mal de manière constante.

Malgré toutes les volontés en présence et après plus de trente heures de travail, Wilma Neva est arrivée par césarienne décidée par tout le monde dont moi.
Bien qu'un peu déçue de ne pas avoir pu mener à bout la naissance que je désirais, j'étais malgré tout satisfaite et rassurée d'avoir mon bébé en vie et de l'être encore moi aussi, malgré la douleur de cette seconde chirurgie qui n'est décidément pas une partie de plaisir. Je cherche encore d'ailleurs à comprendre comment l'on peut qualifier parfois cette méthode d'accouchement de "césarienne de confort". Même si chacune fait le choix qu'elle estime juste, il n'est à mon sens aucun confort à se faire trancher le centre du corps.
Le lendemain, la pédiatre de la maternité lors de l'auscultation de routine m'annonçait toutefois quelque chose qui allait changer cette arrivée au monde.
C'est donc avec la psychologie d'une poutre que cette dernière me dit "votre fille a un gros souffle au coeur; faudra confirmer ça par une échographie mais ne vous inquiétez pas, si c'est ce que je pense, ça s'opère très bien" Ne me laissant pas trop de place pour des questions, elle me laissait en plan avec mon bébé et ma panique. 
Une semaine plus tard, lors de la première échographie cardiaque d'une longue série, une grande professeure du CHUV aussi factuelle que son curriculum vitae est impressionnant, nous confirmait la malformation cardiaque "pas dramatique, fréquente et de loin pas la pire" de notre petite. Malgré cette volonté de nous rassurer, le sol se dérobait donc un peu sous nos pieds en ce jour moche et pluvieux de février. 
Depuis il s'est passé beaucoup de choses, nos esprits et nos coeurs ont dû se mettre à traiter beaucoup d'informations, de ressentis, de peurs. Nos yeux ont vu couler nos larmes au regard de notre nouvelle née. Nos mains ont caressé ses joues en lui chantant des berceuses la voix fragile. Nos pensées se sont teintées de désir de magie, de miracle rapide, de souhait de saut dans le temps pour pouvoir parler au passé, nos cerveaux ont tenté de chercher un sens, sans succès.
Rien ne pouvait laisser prévoir ce problème, on ne pouvait pas le voir avant la naissance, nous ne sommes pas responsables, c'est seulement le hasard, la faute à pas de chance. Une centaine de bébés par année suivis au CHUV pour le même problème et combien d'autres avec des malformations bien plus graves.
Ce qui est compliqué dans ce problème, c'est que l'on ne peut pas savoir pour l'instant si notre fille devra être opérée ou non, puisqu'en fait, cette malformation peut tout à fait guérir toute seule. Une fois ceci plus ou moins intégré, avec l'injonction médicale et contradictoire qui disait "on va suivre votre enfant mais ne vous inquiétez pas, pour vous c'est "vie normale"..." nous sommes rentrés chez nous avec ce désir de vivre normalement sans y parvenir vraiment.
Un peu perdus dans cette ambivalence, nous ne pensions pas que notre fille allait faire une diversion pour peut être faire en sorte que ses parents pensent à autre chose. Tranquillement mais sûrement, cette dernière s'est mise à ne pas manger assez, puis vraiment plus assez; tant et si bien qu'au moment où j'écris ces lignes, nous en sommes à notre deuxième hospitalisation en six semaines pour lui redonner des forces.
J'aimerais bien vous dire que les médecins savent pourquoi elle ne mange pas, mais ils ne savent pas vraiment ou plutôt les symptômes qui devraient être tous présents pour pouvoir relier tout ça au problème de coeur ne sont pas tous là, ils sont donc sceptiques, cherchent ailleurs et ne trouvent pas, reviennent à l'éventualité du coeur mais sans conviction, nous disent qu'ils ont bien discuté entre eux (ce que nous avons du mal à croire) et continuent de nous rassurer car notre fille reste "tonique et éveillée". 
On nous propose tout le temps à la moindre larme qui coule de nos yeux de voir un pédopsychiatre pour parler et nous soulager, ce qui finit par nous faire un peu rire (on trouve l'humour là où on peut dans ces moments là) on nous dit qu'il faut nous reposer mais quand et comment on ne sait pas. On nous dit qu'ils vont commencer un traitement, puis finalement non, pas tout de suite, peut-être, lundi? éventuellement. On nous dit qu'on nous comprend bien, que ce que l'on vit c'est très dur et qu'on nous croit surtout. 
Et nous...on comprend que ce n'est pas facile de soigner une petite humaine de six semaines qui ne peut pas dire ce qui ne va pas, on comprend que les médecins font des miracles mais aussi font comme ils peuvent, et on se dit que malgré tout, on a sacrément de la chance d'être pris en charge, ici, en Suisse, où l'on paye un rein notre assurance maladie mais où on peut te le re-greffer nickel. 
Nous sommes des parents épuisés, désemparés, avançant à tâtons dans un tunnel médicalisé dont on ne voit pas la fin.
Nous sommes des parents amoureux sans plus vraiment avoir le temps de l'être. Nous sommes aimants et malgré toute la fatigue, confiants.
Nous sommes là, chacun notre tour dans cette chambre d'hôpital à fredonner cette berceuse allemande à notre bébé dans nos bras en prenant garde de ne pas tirer sur sa sonde.

Le sens, où est le sens? Peut-être qu'être parents c'est savoir accepter qu'il n'y en a pas. Il n'y a pas de raison à chaque chose. Le hasard existe, le destin est un concept d'angoissé, il n'y a pas de vie écrite à l'avance, il ne peut pas y avoir de vie écrite à l'avance. Auquel cas il y aurait alors des chances et des injustices décidées, mais décidées sur quelle base?

J'avais besoin d'écrire, de raconter. Je ne cherche pas à ce qu'on nous plaigne, je cherche peut-être juste à construire une pensée face à ce que l'on ne peut pas penser, le déséquilibre de la vie.



L'accordéon, souffle du coeur...