25/01/2015

Un chou, une rose, une cigogne et un mur (haut mur)

Comment écrire ce qui est censé ne pas s'écrire; encore moins se dire.
Oui, dans notre société, ce sujet est une sorte de tabou, car seuls les êtres performants, les win-win, ceux qui "gèrent grave", seuls ceux qui décident et qui parviennent; seuls ceux là sont salués et ont d'une certaine manière, le droit de parler. 
En Suisse, cette problématique est en quelque sorte une affaire d'ordre privée. Rien de ce sujet ne doit peser sur la collectivité et dans notre pays d'argent, il devient donc malheureusement logique que la solution ne soit pas du tout prise en charge par les assurances maladie. La solution n'est accessible qu'au prix équivalent d'une Rolex; il faut donc se faire une sorte de raison et accepter ce qui, dans cette situation semble inacceptable: seules les élites ont facilement accès à leur reproduction.

L'infertilité, la difficulté pour un couple d'accéder, et ce malgré la plus forte des envies, à la parentalité; c'est de cela dont je parle.
Jamais je n'aurais imaginé devoir un jour dans ma vie me confronter à ce problème.
Pendant pas mal d'années, je ne me suis même pas posé la question. J'ai atteint la vingtaine en me disant d'abord que je n'en n'aurai jamais envie. Fidèle à une adolescence sombre, je ne voyais pas de raison valable à ce que j'appelais alors "la reproduction". Puis j'ai changé un peu en me disant que je ne ressentais pas d'envie de ce genre et que si à 35 ans je n'avais pas d'enfant, cela voudrait dire que je n'en n'aurai jamais. Et puis il me semblait qu'il fallait aussi rencontrer la personne qui peut-être éveillerait l'envie. Tout ceci était donc loin de moi et je regardais les enfants avec méfiance.

Aujourd'hui, à 36 ans, je revois mes idées passées avec douceur; j'ai rencontré cette fameuse personne et plus que cette dernière, il me semble que c'est l'histoire en elle-même, son énergie, ce que l'on en fait au quotidien, notre capacité à communiquer, à nous aimer pour ce que nous sommes simplement; c'est tout ceci qui a crée en nous, l'envie.
Un jour, tu ne sais d'ailleurs vraiment pas très bien pourquoi et d'ailleurs souvent tu le gardes pour toi car ce n'est pas "cool" du tout, bref, un jour, tu te mets à regarder les bébés différemment. Tu ne les vois plus comme des uniques tubes digestifs un peu flippants. Tu te mets à ressentir un truc étrange dans le bide, un truc que tu ne pensais absolument pas possible en toi.
Tu pensais qu'il s'agissait d'injonctions sociales, et sans prévenir tu te rends compte que ce qui est là, fortement au dedans de toi, c'est que tu es simplement..animale. C'est plutôt étrange comme révélation de soi à soi, car tu dois du coup en finir sur ce sujet, du moins au début, avec ton plus fidèle copain, le sarcasme.
Le temps passe, on s'aime, c'est formidable, mais rien ne vient. Les questions commencent. On te dit de ne pas y penser, de laisser faire. Toi de bonne volonté tu fais ce qu'on te dit, tu essaies donc tant bien que mal de désirer sans vouloir. Bullshit. Tu te fais des films dans ta tête. Tu te sens conne. Rien ne vient. 
Pour finir, ou plutôt pour continuer, vous décidez d'aller voir les machines d'un peu plus près pour essayer de comprendre. Et là après quelques rendez-vous, ça vous tombe dessus comme la foudre.
Vous ne pouvez pas, ou très peu, comptez sur la nature.

Oui mais :
-"Docteur, on peut faire quelque chose?
-oui, il y a la procréation médicalement assistée
-mais ça coûte terriblement cher docteur et ce n'est pas pris en charge, c'est injuste
-oh vous savez si vous n'êtes pas prêts dès le départ à investir, mieux vaut oublier, vous savez c'est cher un enfant. Quel âge avez-vous au fait? 
-36
-ah donc faut pas traîner!"

Il n'y a plus vraiment de tristesse, il y a à présent pas mal de colère et de stress. En colère, parce que le seul soutien de notre société s'apparente à être pris en pitié discrète ou à mettre en avant nos "défaillances", nous ne sommes pas fidèles à la demande de performance. Nous ne respectons pas la productivité.
Et pourtant, nous avons mangé les mêmes pesticides que tout le monde, fumé des clopes, bu des coups, vécu pleinement notre vie, nous avons dansé et aimé, et en quelque sorte aujourd'hui nous nous sentons comme coupables. Coupables de notre envie de donner la vie, coupables de ne pas être blindés de pognon de génération en génération. 
J'insiste beaucoup sur ce sujet, mais c'est aussi celui qui nous met le plus en colère. Nous sommes salariés, nous pourrons sans doute accéder aux traitements en tout cas une fois, mais comment font ceux qui gagnent encore moins? La Suisse ne veut pas de "pauvres". La Suisse veut une reproduction libérale. 
Je fus la première à descendre dans la rue pour défendre le maintien du remboursement de l'avortement...à quand une initiative pour la prise en charge de la pma en Suisse?
Certains prennent un crédit à la consommation pour se payer une grosse bagnole, d'autre pour se payer les traitements qui leur permettront peut-être de donner la vie.
Cherchez l'erreur.
Je sais que j'ai habitué à un peu plus de poésie, mais dans le cadre de ce texte, je crois que nous demandons un droit à la colère.
Nous demandons le droit de faire chier le monde avec notre infertilité.
Nous avons décidé de ne pas nous taire, ni d'être discrets, ni de faire preuve de pudeur.
Quelle qu'en soit l'issue, nous tenterons de vivre pleinement cette nouvelle aventure. Il nous faudra sans doute beaucoup nous aimer, nos amis nous trouverons courageux, d'autres nous trouverons rasoir, tant pis.
Au bout de ce chemin, il y aura nous l'espérons, un enfant. Nous l'aurons longtemps appelé et cherché. S'il n'y est pas, que découvrirons nous?
Dans tous les cas, il y aura, il y a, une mise en perspective de ce que nous pensions jusqu'à présent, de nos décisions et de nos choix de vie. 
Changer, ne plus se faire mal au travail, créer, rêver, voyager, espérer, se révolter.
Être chaque jour un peu plus jeunes en pesant au quotidien nos vies d'adultes.











09/12/2014

Bruit et paupières

Je ne sais pas dormir; ou du moins je ne maitrise absolument pas le principe d'abandon. 

L'endormissement est une épreuve personnelle; tout d'abord parce qu'il vient toujours péniblement et ensuite, parce que l'espace temps qui sépare mon besoin de dormir avec le moment réel d'abandon est l'équivalent d'un conflit cellulaire total. 

Mes nuits sont une histoire qui se répète. 
Adolescente, je refusais de dormir, pour moi dormir c'était mourir. 
Dans cette logique absurde, j'épuisais mon corps et ma tête rêvait en plein jour.
À un certain stade, et comme la réalité n'était plus tout à fait consistante, il fallut me faire avaler les moutons pour que je cesse de les compter.

Adulte, je ne refuse plus de dormir, mais ce qui a été entraîné à ça, au dedans de moi, se fraie toujours un chemin d'une créativité intense.
Je pose la tête sur l'oreiller, je ferme mes yeux et j'attends. La fatigue est là réelle, accumulée sur le long terme. Si la chance est là, je ne me rends compte de rien et la nuit passe, normale, en un battement de cil.
Mais si les cellules du passé sont activées, ré-activées par une pensée incessante, un bourdonnement de questions dans la ruche cérébrale, les alvéoles se déforment et se mettent à se déchirer. Dans ces moments là, c'est comme si la chape de peau qui entoure mon crâne se mettait en surchauffe, comme si l'os cherchait à changer de forme et là, à ce moment là de la bascule de l'éveil au sommeil, dans une lutte entre mon corps fatigué et mes cellules joueuses, le sursaut intervient; la sensation que mon crâne s'ouvre en deux parties; comme en été on ouvre une grenade pour en détacher les grains.
C'est la mémoire adolescente qui refuse à mon corps adulte, le sommeil.
C'est la peur primale de la perte de corporalité qu'amène cet état. 
Il n'y a plus de maitrise et on perd les échanges possibles.

Ces sursauts arrivent plusieurs fois, parfois même lorsque je suis vraiment endormie. Ils occasionnent des nuits entrecoupées faites de déambulations multiples. Parfois, il m'arrive d'écrire.
Mes nuits ne sont pas adaptées à mon quotidien, ou peut-être est-ce l'inverse.
Je n'aime pas mes insomnies, encore moins mes épreuves douloureuses d'endormissement. Elles sont le reflet de ce qui est cristallisé au dedans, mes peurs, mes frustrations et mes colères. 
Ces nuits là, je refais mon histoire en entier, je prends des décisions, temporaires ou non, je pense à mes proches, je regarde dormir celui qui est à mes côtés, je pense à l'avenir, je règle des comptes dans le vide, je fais des rétroplannings, je change de vie, de nom, je m'imagine fumer une clope, je vais sur les réseaux, je regarde des photos d'ongles, je regarde la tv online de la Nasa, je me demande si oui ou non, l'homme a bel et bien marché sur la lune en 1969 et souhaite savoir pour de bon la vérité, je n'y parviens pas, je peste de ne pas être scientifique, je me fais une raison, temporaire.
De l'autre côté de la fenêtre, souvent, la lune me nargue, elle m'agace alors je la délaisse pour regarder les immeubles d'en face; éclairés par les lampadaires jaunes, les fenêtres sans lumière, le monde entier endormi; soudain une fouine rondelette se promène autour des poubelles et se nourrit. 
Animaux urbains, nous partageons nos espaces; quand les mondes diurnes et nocturnes se croisent, les horloges trottent au ralenti et les secondes expansées laissent entrevoir les complications de la construction de nos rythmes sociaux.

Nos vies sont remplies d'injonctions contradictoires, nous devons être performatifs, proactifs, engagés, volontaires, sportifs, sains, enthousiastes, généreux, sensibles mais pas trop, gentils mais fermes, productifs, heureux, satisfaits et surtout, nous devons faire quelque chose de nos vies.
Mais c'est quoi exactement faire quelque chose de sa vie? Sur quelles bases pouvons nous poser nos certitudes? Selon moi aucune, mais c'est sans doute parce que je ne crois à rien ou à tout, cela dépend des nuits.

Mes paupières brulent et se font plus lourdes, je n'apporterai encore pas de réponses à mes questions; elles seront remises à la nuit prochaine où mon crâne cherchera à se fendre. À présent que j'ai dépassé le stade de la fatigue pour cet espèce d'éveil doux, il est temps que j'aille me parer de plumes pour enfin lâcher la surveillance et laisser repartir les aiguilles de l'horloge.

Bonne nuit...







14/11/2014

Cosmos et améthyste

Le soleil se transformera un jour en géante rouge; ce jour là, la terre disparaitra. 

Cette phrase comme énoncé d'une de mes angoisses du passé, quand avant de m'endormir je lisais le Big Bang raconté aux enfants. C'était un des chapitres de mon Encyclopédie de la Vie. Cette lecture eut sur moi à cette époque comme résultat de déclencher des interrogations sidérales. Mon esprit étant incapable de pousser plus loin la compréhension de notre existence, il s'en est suivi une intranquillité qui ne m'a jamais vraiment quittée. 

L'enfant fille que j'étais, laquelle ne cessait jamais de se poser des questions et de questionner son monde, ne put pourtant pas accéder à un chemin scientifique. Par manque de capacités peut-être, mais aussi parce que l'école républicaine française dont je suis un pur produit, décréta rapidement que j'étais mauvaise en sciences mais heureusement douée en matières littéraires.
Collée à mon genre j'achevais donc mon lycée dans une classe de 33 filles sur 37 élèves. De là à y voir un conditionnement, il n'y a que quelques millimètres.

Je n'ai donc jamais rien approché de la science du cosmos que sa vulgarisation, ses légendes et ses constructions fictives. En ces jours où l'Agence Spatiale Européenne fait atterrir un robot sur une comète à 510 millions de kilomètres de la terre, mes questions et ma frustration refont surface en arrêtes stridentes.
Contrairement à l'univers nos esprits ont leurs limites. Le mien se heurte à l'incompréhension de la raison de notre existence. 
Sommes nous des accidents, le résultat d'une volonté extérieure, la mort est-elle comme "tomber" dans le vide spatial ou comme un sommeil noir et éternel, y a t-il quelque chose après, devons nous croire, pouvons nous croire, croire en la science est déjà un départ non? mais est-ce suffisant? Si l'univers est en expansion pouvons nous espérer que notre connaissance et notre sagesse le soient aussi tout en nous éloignant toujours davantage de la réponse?

Ces circonvolutions de mes connecteurs cérébraux déclenchent encore parfois des sensations étranges, comme regarder dans un miroir qui regarde dans un autre miroir. Cela fait parfois peur, parfois cela fait rêver; je suis consciente de ma propre gravité.
En boulimique de compréhension et de déconstruction, je perds parfois le fil.
Je me mets à juger, à craindre, à ne plus aimer, à rejeter avec pour seule arme ce que certains qualifient d'arrogance et que d'autres perçoivent comme du mépris teinté de sarcasme. Nous sommes nos propres énigmes, en résonance à nos relatives complexités. Nous devons peut-être ne rien attendre mais continuer de chercher en acceptant le risque de notre éventuelle déception. Comme Hubert Reeves le dit, "il faut bien avouer que malgré toutes nos découvertes, nous ne savons rien". Ce n'est malgré tout pas une raison pour le contentement. Ne jamais cesser d'interroger est sans doute le gage d'une éternelle jeunesse de l'esprit et ce grand astrophysicien en est un magnifique exemple. 

Pourtant nous sommes à l'âge sociétal de la répression et du retour à la morale construite au moyen-âge.
Comment pouvons nous en même temps atteindre une comète lointaine et nous retrouver face à des esprits aussi étroits que ceux qui manifestent pour que les filles restent roses et les garçons restent bleus? Nous vivons une société à deux vitesses qui semblent bien incompatibles. 
Nos esprits ne sont pas des robots, nous ne pouvons pas les lancer sur une sonde en espérant qu'ils touchent la connaissance et des découvertes fondamentales. Alors quand regarder en plein dans notre propre accélérateur de particules fait peur, on se jette à corps défini dans des certitudes surannées et rassurantes. Rien ne dépasse, pas de miroir dans un autre miroir. 

En réponse, il reste nos cosmos personnels où se réfugier quand l'extérieur devient trop âpre. 
Le mien est formé de flocons de neige et de paillettes, de connexions arborescentes. 
J'y évolue au coeur d'une forêt de quartz, pas à pas, doucement en effleurant les arbres. Caresser la pierre, sentir son froid, sa matière, entendre sa couleur et chercher les branches; le bois de cristal et ses rayons.
Mon âme se cultive dans un sol minéral, le regard pointé vers les étoiles. 



    

05/09/2013

Midwest, volonté et ressenti


J’ai toujours pensé que la volonté était une capacité inscrite en chacun de nous ; toujours, jusqu’a ce que je constate que cette dernière était peut-être en moi et que je la projetais chez les autres.
Nous ne sommes pas égaux sur ce plan. Il y a un déséquilibre des capacités en chacun. Pour ma part, ma volonté d’avancer et de me transformer est un moteur de vie et c’est sans doute grâce à elle que je suis encore là à tenter d’équilibrer la balance interne de mes émotions.
Après je reste tordue malgré tout, tordue comme un trombone. Dans les coudées de l’objet s’accroche les choses vues, ressenties, entendues et parfois comprises. Elles s’y accrochent et s’y entassent.

J’ai voulu oublier mon envie d’écrire, j’ai voulu cesser de me mettre en état méta mais il a fini par me rattraper dans un des virages du parcours. Cet endroit était pourtant confortable, j’y entassais tel le hamster que je suis, des paillettes, du kitsch, des plumes et des fourrures. Insouciante, je me pensais vraiment sortie d’affaire, je me laissais vivre avec comme seule préoccupation la couleur de mes ongles.

Sur les routes des Etats-Unis, en rendant réel un de mes voyages rêvés, j’ai voulu ressentir chaque chose à chaque moment. De temps en temps, j’avais peur car je ne ressentais pas. Cette peur assombrissait le virage-refuge le temps de quelques miles.
Des petites entailles dans les tissus précieux m’ont rapprochée à nouveau de cette autre partie de moi. Celle où se trouve la volonté, la volonté de ne pas y rester.
Au retour, telle une tornade de l’Arkansas, les questions sont tombées et ont arraché les toits. J’aurais préféré rester aux alentours de la Nouvelle-Orléans, à contempler le végétal à perte de vue, mais il m’a fallut revenir là où tout est un peu à l’étroit. Là où les sentiments débordants, il faut repenser les fondations pour que cela tienne debout.

Il n’y a donc jamais vraiment de repos ? Le travail se devrait donc d’être permanent ?
Cela signifierait donc que toutes ces choses qui brillent et que j’aime ne sont que des artefacts de l’enfance à laquelle je m’accroche ? Que mon besoin d’être rassurée n’a rien à faire dans cette trentaine…
Oui, il est trop tard pour les caprices. On ne peut pas sans cesse aller de l’avant puis revenir en arrière, c’est aussi à cette forme d’acceptation que doit se raccrocher la volonté.

Ressentir…la volonté de ressentir…
Parfois, une musique entendue dans un club de Nashville rendait le ressenti immédiat, entier et fort. Partir à la poursuite des animaux sauvages de la Natchez Parkway apportait de l’oxygène aux cellules, tout comme avoir envie de rester sur les rives du lac Michigan afin de se laisser aller là, se laisser aller à l’avenir, en confiance, main dans la main.

En trois semaines de route, du nord au sud, du sud au nord, mes yeux ont emmagasiné tant de paysages qu’il me semble que je n’ai pas encore eu l’occasion de tout digérer. Il m’est encore impossible de mettre en balance tant de contradictions émergeantes au détour des rues d’une ville « morte » où toute vie est suspendue, où la pauvreté violente arpente les trottoirs comme à Memphis ou à Gary, à quelques kilomètres du centre ville de Chicago.

Cette violence était aussi troublante quand les gens croisés semblaient avoir abandonné la volonté ; la volonté de bouger leurs corps handicapés par cette nourriture irréelle avec laquelle tout le monde parait obligé de se nourrir. En face, les starlettes de la country avec leurs cheveux interminables en trapèze battaient le pavé dans leurs santiags pailletées.

Au détour d’un magasin de souvenirs nommé « musée » une statue d’Elvis ratée narguait les passants émus par cette authenticité fabriquée.

Il y aurait tant de moments à décrire, d’émotions sourdes à dire ; la larme versée sur les tombes de Johnny Cash et June Carter, les rires à Graceland, un sac plastique par objet à la caisse des supermarchés, les gens cools-vegans-tatoués de West Chicago, les rednecks du Kentucky, les orages cataclysmiques du Mississippi, les yeux des alligators, le goût des crevettes des eaux profondes, le regard des gens et leur « how u doin’ » et « awsome » , le sens du business Amish malgré leurs carioles, l’horizon infini, les gas and food, les colliers aux arbres de New Orleans, l’odeur putride des climatisations des motels, une église par habitant, la musique, les musiques, la bienveillance des gens du sud qui s’étonnent que l’on soit si loin « so far from home », l’envie de manger un fruit, juste un fruit, l’envie de marcher sans le pouvoir, Biloxi, Tupelo, la douceur du mot « Swamp », l’architecture délirante de Chicago, la Dodge Challenger dans laquelle il m’était difficile d’atteindre les pédales, le bourbon, le café des autoroutes, le monde à part des camions et de leurs conducteurs, les chapeaux de Madame Meyer, les blessures non refermées de Katrina, les rangers dans les grottes, la nourriture beige, l’histoire de Rosa Parks, le racisme bien vivant, ces mondes cohabitants sans se rencontrer, ces héroïnes de cabaret burlesque vendeuses de vintage, les magasins de cailloux et de pierres, la piscine guitare, les heures surréalistes passées en voiture, le bonheur de partager ce voyage, l’envie de rentrer, la peur de rentrer, l’envie d’y retourner…

L’image est commune, pourtant juste là, il me semble que les routes américaines sont comme une analogie de nos vies, elles semblent droites et interminables. On doit pourtant s’arrêter pour profiter de ce paysage changeant. La Louisiane est un paradis, l’Indiana ressemble à l’enfer. Tout y est si grand que nos sentiments parfois ne sont pas assez larges pour s’y épanouir. À peine le temps de reprendre le souffle de la volonté.

Issue de la vieille Europe, je tends à essayer de comprendre au lieu de laisser la place à l’émotion.

Je me vole en essayant de me raccrocher à ce qui me rassure. À présent je suis dans l’âge du Midwest.








03/12/2012

De la bile à l'humour

Voilà bien longtemps que je ne m'étais pas préoccupée d'écrire un peu. Mais bon, trouver le temps et le motif s'avère aussi compliqué parfois que de se faire une place sur le planning des lessives de son immeuble. C'est d'ailleurs une chose comique chez nous, la lessive; " je ne peux pas venir, j'ai la lessive" est une phrase convenue et sans appel. Déroger à cette organisation bien rodée c'est risquer de se retrouver avec l'impossibilité de s'habiller proprement pendant deux semaines; éventuelle horreur qu'aucun d'entre nous ne saurait concevoir, ou si peu; tête baissée et voix rentrée dans la barbe.
Nos vies quotidiennes sont bien agencées oui, et au final ce n'est pas si grave; quoique. Tout ceci manque parfois cruellement de ressort comique, et de mon point de vue, une vie sans humour est une existence sans espoir. Et pourtant! Je ne sais pas vous mais moi je me fais de la bile pour tout!
Tout est sujet à interprétation, à perte d'équilibre, à angoisse ou à une simple mauvaise compréhension. On me dit souvent d'ailleurs que je m'inquiète trop, pour rien ou pas grand-chose.
Mais voilà, ceux qui ont la chance de crier haut et fort que ce n'est pas grave, qu'ils s'en fichent, qu'il y a pire ou qu'au final ça ne changera pas le calendrier Maya; et bien ceux là ont beaucoup de chance ou mentent! Que celui ou celle qui ne s'est jamais fait un sang d'encre pour une broutille me jette le premier caillou...  que j'emporterai dans ma chaussure. 
Nous sommes tous très différent-e-s certes. Il y aurait les natures inquiètes, dont je fais partie, et les natures plus tranquilles, tant mieux pour eux. La psychologie pourrait d'ailleurs m'expliquer de long en large pourquoi ces états de pensée sont des faits, je n'en aurai que faire. Ceci ne change en rien ce qui m'inquiète. D'ailleurs quand je ne m'inquiète pas, ça m'intrigue, et je me demande ce que cela cache. Quel beau principe de vie non? Remarquez je ne m'ennuie pas ou très peu, car je divague beaucoup en sur-interprétations et croyez moi ce n'est vraiment pas évident à suivre pour mes proches; les pauvres.
Une tonalité de voix nouvelle, un regard inhabituel, une sensation soudaine et inattendue et c'est le début du stress. Une échéance trop proche, une chose très importante à faire, une décision à prendre... j'attends la dernière minute pour être bien certaine de m'inquiéter pour quelque chose de valable. 
J'envie tellement les personnes "au carré" celles qui organisent leurs vies comme un agenda Outlook avec des rappels, qui ont une structure mentale claire, qui font des rétros-plannings; mais malgré tout ces personnes m'inquiètent. Oui elles m'inquiètent car pour moi elles manquent d'abstraction. 
Manquer d'une telle capacité c'est aussi manquer d'humour et là le serpent se mord la queue: Comment rigoler un peu sans inquiétude? Les plus grands comiques sont pourris d'angoisses et ceci n'a rien de nouveau. Bon je ne me trouve pas très drôle pour autant, d'ailleurs parfois je me trouve sinistre, mais ce qui me sauve c'est l'auto-dérision, car sans elle, j'aurais sans doute l'impression de passer à côté de la vie. 
Peut-on rire de tout et avec n'importe qui? l'humour a-t-il une couleur politique? Puis-je dans le cadre d'une réunion au travail me permettre quelques bons mots sans passer pour une originale déviante? 
Toutes ces questions, vous l'aurez deviné, m'inquiètent. 
Je n'invente rien et n'en ai d'ailleurs aucunement l'intention, mais ce qui me montre parfois que j'ai un brin d'humour est sans doute ma capacité démesurée à me faire de la bile.
Accepter de rire de beaucoup c'est aussi prendre acte que tout le monde n'est pas conçu pareillement et accepter de rire de soi c'est aussi avoir conscience que tout le monde n'a pas le même trait de fonctionnement, pour ne pas dire, capacité. 
Vivre inquiet-e, c'est épuisant; épuisant pour soi et pour son entourage. Cela crée souvent des conversations surréalistes qui au final seront dénuées de sens. Mais il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir des mots. Ils ont bel et bien un impact, et oui une intonation peut changer le cours des choses et avoir des conséquences qu'il faudra assumer ensuite. 
Cela me rappelle quand enfant à chaque rentrée scolaire je me présentais au prof de sport de cette manière " Bonjour, je m'appelle Virginie Lièvre mais je ne cours pas vite" ...c'est véridique. Bon les conséquences ont souvent été directes quand il fallait faire preuve d'endurance et j'aurais eu mieux fait de me taire. Car au final, j'étais déjà inquiète de ne pas réussir à faire quelque chose. En annonçant une contre-performance éventuelle, je définissais ma peur de ne pas être à la hauteur.
Quelle gageure! 
Mais voilà, mon besoin de décortiquer chaque ressenti est aussi ce qui me pousse à écrire, ce qui me pousse à aimer ou à ne pas aimer. C'est aussi ce qui me meut chaque jour et c'est enfin ce qui définit ma capacité à rarement lâcher l'affaire. Peut-être que l'inquiétude est ce qui énonce chez moi une forme de passion et d'intérêt. 
Il n'est pas question ici de formuler l'inquiétude comme moteur de vie, elle se doit d'être dressée, adoucie dans ses contours; mais elle fait partie du fonctionnement capable d'activer l'humour et la réflexion. Sans elle, aujourd'hui, je ne serai rien, ou pas grand-chose. Je me sentirais vide et sans fondations et surtout sans exigences. Vivre sans attentes ou si peu, envers soi et envers les autres c'est se voler un peu. C'est peut-être oublier qu'on a des droits et des devoirs qu'aucun jour de lessive accompli ne saurait rattraper. 
C'est enfin accepter que nos attentes et exigences sont parfois différentes des autres et qu'il faut s'en accommoder sans déception. C'est inutile, nous n'avons que très peu de poids sur les vies des autres et sur les nôtres tout aussi peu. Seul peut-être l'humour peut nous sauver de nos inquiétudes. Il nous permet de formuler ce qui nous tend sans passer pour des dégénérés. Encore faut-il savoir le doser et prendre acte de ses différents degrés.
J'aime mon inquiétude aussi bien qu'elle m'exaspère; car elle est créatrice. Elle m'éloigne chaque jour de l'ennui et me permet d'avancer dans une forme de confiance qui au final est réinventée chaque matin. 
Se faire de la bile, c'est donc aussi s'aimer et être capable d'aimer les autres. Ou comment être capable de recycler tout ce qui paraît impossible. 
C'est l'écologie du ressenti.  

23/09/2012

Être trentenaire c'est super

Un jour sans doute, un jour peut-être, je serai vieille. J'aurai apprivoisé mes peurs et mes doutes en m'en créant d'autres relatives à mon âge. J'aurai mal quelque part et des rides sinueuses et creusées avec celle du lion, celle de l'inquiétude, en marque principale de mon visage.
J'aurais peut-être eu une belle vie remplie de changements, de joie et de peines. Un travail ou plusieurs, auront jalonnés mon existence et défini la vieille femme que je serai, du moins en partie.
J'aurai peut-être une famille, qui viendra manger parfois le dimanche un plat vaguement réconfortant dénué de talent. J'aurai compris des choses sur la vie de ceux qui m'entourent et accepté leurs forces et leurs faiblesses. Je ne serai pas fatiguée car la fatigue n'est pas intéressante, mais je serai enfin oisive en toute quiétude, sans culpabilité, je pourrai enfin laisser libre cours à ne rien faire et attendre. Peut-être que je ne serai pas seule, que j'irai boire un thé ou l'apéro avec mes copines après avoir fait quelques brasses avec mon corps ralenti. Vivre à Lausanne, toujours? peut-être. Mais j'aurai beaucoup voyagé, à l'est surtout et je serai revenue avec une Volga.
Partir de cette idée de l'avenir comme début de ce texte, c'est accepter de partir d'une projection floue et surtout dans quel but? Il s'agit avant tout d'un exercice. Quitter ma maison interne et par la pensée imaginer une suite lointaine au fond du jardin des possibles. 
J'ai du mal à écrire en ce moment, non pas que je n'en n'ai pas envie; je me sens juste un peu plus calme et moins dans l'urgence des mots. Il y a des périodes comme ça où tout semble agréable et doux. Les aspérités sont gommées, où la joie réside dans un sourire, une période où je redécouvre le mien et où il me parait normal, naturel et logique.
Je deviens plus à l'aise avec les autres et même si je reste sur mes gardes, toujours, je profite pleinement de ma vie. 
Les petits cailloux dans mes chaussures sont toujours là pourtant, deviendraient-ils supportables? Sans doute que j'ai décidé simplement de mettre tout ceci entre parenthèse. La trentaine assagit le conflit en soi, la trentaine donne des envies que l'on ne soupçonnait pas. L'indépendance tourne des pages nouvelles, et il semble normal de se laisser aller à la projection d'un futur hypothétique. Ce n'est donc pas vraiment d'un exercice qu'il s'agit en somme, mais plutôt d'un réflexe. 
J'ai toujours eu peur d'exprimer mes envies, mes sentiments (même si au final je ne fais que ça) mais en superstitieuse notoire, il m'a toujours paru délicat de le faire, par peur que cela casse tout, que cela empêche la réalisation de ces fulgurances de l'esprit. Laisser aller mon imagination au futur me tend car les branches poussent trop vite parfois; j'ai toujours peur que cela s'étiole. 
Quelle position prendre alors face à tout ceci? je n'en sais rien, j'oscille entre plusieurs sentiments mais je décide que la joie est à ma portée et qu'elle a sa place dans ma vie. Depuis quelques temps j'ai décidé de m'en donner les moyens. De faire un pied de nez à ma superstition, d'exprimer ce qui me tient à cœur quand j'en ai envie, de ne plus me poser de problème avec le "timing", bon ou mauvais il est au final souvent juste. Et qui vivra verra dit le proverbe (je n'aime pas les proverbes).
Dans tous les cas, un jour je serai vieille et peut-être que Lausanne me paraitra loin. Mais j'aurai vécu pleinement chaque chose, acte, pensée, sentiment tel que j'en aurai eu envie. On guérit de beaucoup de choses et je crois avoir guéri de mon pessimisme ou plus exactement de mon manque d'optimisme.  Quelle différence? je la connais et ceux qui me connaissent le savent aussi, c'est le principal pour moi. Conserver ma cohérence reste primordial à mes yeux. 
Je continue mon chemin, entière et confiante et surtout souriante. Oui oui c'est vrai je souris...

12/08/2012

De la solitude à l'indépendance

Ne pas écrire pendant longtemps c'est expérimenter un manque, mais il ne s'agit pas ici de mieux retrouver les mots. Pause estivale, vacances, ennuis d'ordinateur, manque d'imagination, lassitude... je ne sais pas; voilà.
Pourtant j'ai vu beaucoup de films, beaucoup de spectacles aussi et j'aurai sans doute pu écrire tout autant; j'ai pris des vacances globales.
Je pourrais aussi régler quelques comptes car la médiocrité de certains me désole toujours autant, mais je ne suis personne pour me permettre ce genre d'impudeur et quelque soit mon agacement je ne le ferai pas ici. 
Je suis partie en vacances toute seule pour la première fois de ma vie. J'ai décidé ça sur un coup de tête, deux semaines loin de tout et de tout le monde dans un endroit où pourtant ce n'est pas la solitude qui caractérisait les autres vacanciers. Dans une station balnéaire grecque sur l'île de Kos, j'ai adoré être en tête à tête avec moi même. J'ai adoré me reposer, ne pas compter, parler uniquement si j'en avais envie, lire, encore lire, nager, prendre du soleil et de la chaleur en stock pour les mois à venir et marcher sur la plage le soir en laissant mon imagination se nourrir du mouvement des vagues.
Devenir vaguement kitsch et aimer ça, voilà mon expérience estivale. 
Il a s'agit de choisir la solitude, elle ne me fut pas réellement imposée et c'est au moment du choix que j'ai saisi la portée personnelle de ce dernier. Effectivement, je peux choisir certaine choses importantes pour moi, j'en ai le droit et je l'avais trop souvent oublié. Car je me suis souvent plaint auprès de mes proches de cette solitude qui me pèse dans mon quotidien, qui elle n'est pas un choix fondamental, qui est un fait concret, un résultat des aléas de ma vie. Toutes mes conclusions me rapportent à elle, pour le moment en tout cas. J'ai donc décidé de l'apprivoiser et d'en faire mon atout, ma qualité, ma valeur. Ce n'est plus de solitude dont je parle, mais d'indépendance. Il m'aura fallu toutes ces années de vie pour l'aimer, l'aimer avec intensité. 
J'ai pu constater que cette décision est parfois difficile à comprendre pour les autres. En vacances par exemple où une jeune femme seule interroge ceux qui la voient passer. Pourtant être seule dans ce cadre c'est aussi accepter de payer un supplément pour une chambre d'hôtel, c'est occuper une table pour deux dans un restaurant bondé, s'allonger sur une chaise longue de plage sous un parasol réservé pour deux normalement, c'est accepter de répondre gentiment à celui qui vous aborde en vous demandant pourquoi vous avez l'air si triste ou pourquoi vous ne souriez pas.
Mais voilà, sourire à la ronde et à l'air ambiant, c'est aussi passer pour une folle, allez comprendre les réactions des gens. C'est aussi parfois accepter le dialogue et rencontrer des personnes intéressantes et agréables mais aussi devoir supporter l'effet de groupe autour de soi quand on ne le désire pas forcément.
Être seule en public c'est être comme un miroir pour les autres, quelque chose déplace les convenances. On se demande pourquoi, quel évènement vous a poussé à cette situation.
Et si le seul évènement est justement une simple décision? Les visages s'éclairent, les langues se délient, quel courage m'a t-on dit...
C'est absurde, et c'est cette absurdité qui rend l'expérience géniale. Elle permet d'enregistrer des images, des sensations, des mots, des regards, des attitudes; enregistrer ces pointes de vie pour les moments d'ennui à venir. Une liberté mentale totale. 
Dans l'éventualité de l'oubli, j'ai même poussé la chose jusqu'à m'envoyer une carte postale. Je me suis écrit quelques mots sur ce bout de carton souple pour pouvoir avoir un support de souvenir, pour que ces pensées soient toujours le témoin de cette expérience somme toute banale, mais qui fut très importante pour moi.
Elle n'est que le début des prochaines à venir, il s'agit d'une forme de bilan après un début d'année intense et riche.
Je savoure enfin l'indépendance que j'ai désiré si longtemps.
Et même si certains jours ma solitude me dérange comme un petit caillou dans la chaussure, je sais qu'à l'occasion je pourrai repartir sur cette île grecque ou ailleurs pour retrouver l'avantage de cette dernière.
Je m’apprête à reprendre le travail demain et je sais déjà que le repos pris ne fera effet que peu de temps, que mon arbre mental fera rapidement des siennes, qu'il faudra gérer ce quotidien, ces manques, ces illusions et mes contradictions. 
La vie est ce qu'on en fait, et en marchant sur cette plage, j'ai décidé que la mienne était formidable.