Un jour sans doute, un jour
peut-être, je serai vieille. J'aurai apprivoisé mes peurs et mes doutes
en m'en créant d'autres relatives à mon âge. J'aurai mal quelque part et
des rides sinueuses et creusées avec celle du lion, celle de
l'inquiétude, en marque principale de mon visage.
J'aurais
peut-être eu une belle vie remplie de changements, de joie et de
peines. Un travail ou plusieurs, auront jalonnés mon existence et défini
la vieille femme que je serai, du moins en partie.
J'aurai
peut-être une famille, qui viendra manger parfois le dimanche un plat
vaguement réconfortant dénué de talent. J'aurai compris des choses sur
la vie de ceux qui m'entourent et accepté leurs forces et leurs
faiblesses. Je ne serai pas fatiguée car la fatigue n'est pas
intéressante, mais je serai enfin oisive en toute quiétude, sans
culpabilité, je pourrai enfin laisser libre cours à ne rien faire et
attendre. Peut-être que je ne serai pas seule, que j'irai boire un thé
ou l'apéro avec mes copines après avoir fait quelques brasses avec mon
corps ralenti. Vivre à Lausanne, toujours? peut-être. Mais j'aurai
beaucoup voyagé, à l'est surtout et je serai revenue avec une Volga.
Partir de cette idée de
l'avenir comme début de ce texte, c'est accepter de partir d'une
projection floue et surtout dans quel but? Il s'agit avant tout d'un
exercice. Quitter ma maison interne et par la pensée imaginer une suite
lointaine au fond du jardin des possibles.
J'ai
du mal à écrire en ce moment, non pas que je n'en n'ai pas envie; je me
sens juste un peu plus calme et moins dans l'urgence des mots. Il y a
des périodes comme ça où tout semble agréable et doux. Les aspérités
sont gommées, où la joie réside dans un sourire, une période où je
redécouvre le mien et où il me parait normal, naturel et logique.
Je deviens plus à l'aise avec les autres et même si je reste sur mes gardes, toujours, je profite pleinement de ma vie.
Les
petits cailloux dans mes chaussures sont toujours là pourtant,
deviendraient-ils supportables? Sans doute que j'ai décidé simplement de
mettre tout ceci entre parenthèse. La trentaine assagit le conflit en
soi, la trentaine donne des envies que l'on ne soupçonnait pas.
L'indépendance tourne des pages nouvelles, et il semble normal de se
laisser aller à la projection d'un futur hypothétique. Ce n'est donc pas
vraiment d'un exercice qu'il s'agit en somme, mais plutôt d'un
réflexe.
J'ai toujours
eu peur d'exprimer mes envies, mes sentiments (même si au final je ne
fais que ça) mais en superstitieuse notoire, il m'a toujours paru
délicat de le faire, par peur que cela casse tout, que cela empêche la
réalisation de ces fulgurances de l'esprit. Laisser aller mon
imagination au futur me tend car les branches poussent trop vite
parfois; j'ai toujours peur que cela s'étiole.
Quelle
position prendre alors face à tout ceci? je n'en sais rien, j'oscille
entre plusieurs sentiments mais je décide que la joie est à ma portée et
qu'elle a sa place dans ma vie. Depuis quelques temps j'ai décidé de
m'en donner les moyens. De faire un pied de nez à ma superstition,
d'exprimer ce qui me tient à cœur quand j'en ai envie, de ne plus me
poser de problème avec le "timing", bon ou mauvais il est au final
souvent juste. Et qui vivra verra dit le proverbe (je n'aime pas les
proverbes).
Dans tous les
cas, un jour je serai vieille et peut-être que Lausanne me paraitra
loin. Mais j'aurai vécu pleinement chaque chose, acte, pensée, sentiment
tel que j'en aurai eu envie. On guérit de beaucoup de choses et je
crois avoir guéri de mon pessimisme ou plus exactement de mon manque
d'optimisme. Quelle différence? je la connais et ceux qui me
connaissent le savent aussi, c'est le principal pour moi. Conserver ma
cohérence reste primordial à mes yeux.
Je continue mon chemin, entière et confiante et surtout souriante. Oui oui c'est vrai je souris...