C’est quoi exactement la « détente »? Est-ce que cet état physique et psychique existe réellement ou bien est-ce une construction volontariste d’un ressenti ? Les vacances sont-elles le moment tant attendu de la « détente » quand il est absolument impossible de se détendre en étant parents ou en ayant les yeux un peu ouverts au monde? C’est dans un bordel mental assez conséquent que ces questions m’auront trotté dans la tête un peu tous les jours. C’est les vacances donc, c’était les vacances. Celles tant attendues, souhaitées, espérées et imaginées. Celles de l’été. Celles en Italie comme tous les étés ou presque depuis quelques années, celles sur Isola d’Elba pour la deuxième fois. Cette île déclenche en moi un sentiment d’appartenance mais je ne sais pas pourquoi.
Je sais seulement que je suis une « enfant de la Méditerranée » non pas que j’ai grandi en bord de mer , mais tous mes étés d’enfant et de début d’adolescence auront été liés à elle. Pour moi, c’est elle, la mer. Je me souviens qu’une fois, alors en vacances au bord de l’Atlantique vers Biarritz et bien qu’épatée par cette beauté, je ne me sentais pas à ma place. Peut-être parce qu’élevée en partie par ma grand-mère née à Marseille, quelque chose me relie à elle. Pour moi, les vacances, c’est avec elle, auprès d’elle.
Pourtant, cette année, comme l’année passée et sans doute les années d’avant, je n’ai pas vraiment réussi à « lâcher ». J’ai bien évidemment adoré découvrir de nouveaux lieux sur l’île, manger des merveilles, faire du snorkling, nager, rire, boire des Campari Spritz, ramasser des galets et pierres pour compléter ma collection, être en famille, tout les quatre. J’ai aimé mes vacances sur cette île adorée. Mais je n’ai pas « lâché ». Je me dis que c’est une capacité que je n’ai pas, trop anxieuse, inquiète; cela ne m’est pas possible. Est-ce que c’est possible pour vous? Avez-vous cette chance? Ce privilège?
En même temps, comment y parvenir dans l’état de notre monde? La première semaine, nous avons littéralement cramé comme jamais dans cette zone géographique. La chaleur était si intense que nous avons hésité à partir plus tôt. Puis les nouvelles des incendies sont arrivées, celle des orages de grêle et la tornade. Et je me suis dit encore une fois que partir en vacances était une connerie car même sans avion, nous avons participé à émettre bien trop de co2. Ensuite je me suis demandé à quoi bon m’en faire puisqu’il semble que bien trop peu de personnes ne se font suffisamment de soucis pour arrêter de « partir en vacances » . Car oui c’est bien ça le problème, nous sommes collectivement nuls à chier. Alors bien sûr on peut dire que les grosses entreprises pollueuses sont en première position de la connerie, ainsi que les gouvernements qui ne font simplement pas assez et pas assez vite parce que bon, ce n’est pas possible. Au fond, je n’en sais trop rien, mais il semble clair que nos volontés sont vraiment collectivement nulles à chier oui ou du moins totalement insuffisantes.
Je ne parle pas des conspifafs imbéciles pour qui le dérèglement climatique est fake. Je ne comprends pas non plus comment les libérous peuvent préférer le fric et la croissanceuh au fait que leurs enfants puissent vivre sur une planète habitable. Sincèrement tout ceci m’échappe. De même que mes jolies idées quand il s’agit de rejoindre ce coin de Méditerranée.
Difficile aussi, de ne pas penser au fait que le deuxième nom de cette mer est aussi « mer cimetière ». Quand je me baigne, combien de personnes s’y noient en espérant rejoindre une vie meilleure, avec leurs enfants souvent si petits, avec leur fuite d’une catastrophe, leur instinct de survie chevillée à leur courage d’entreprendre cette traversée. Difficile de ne pas penser à nos impuissances individuelles face à nos nullités collectives.
Cette mer, bien trop chaude à cause du dérèglement, cette mer aussi en perte de sa biodiversité bien trop rapide. C’est vraiment un privilège de pouvoir décrocher pendant ses vacances quand tout ça passe par la tête en permanence. Je fatigue d’ailleurs tout le monde. Chaque année, la même rengaine, chaque année je m’énerve contre des courants d’air, et pourtant chaque année nous repartons. Car chaque année j’ai besoin de retrouver ma si chère Méditerranée et chaque année ma tête me fait la même danse d’anxiété.
Et à chaque fois je me dis ce que chacun et chacune se dit (peut-être) pourquoi je ferais des efforts puisque personne n’en fait? Ou si peu…parce que oui, moi aussi j’aimerais retourner aux États-Unis et découvrir le Japon et la Corée du Sud. Ou simplement voyager plus loin en Europe que d’habitude. Mais en l’état de notre monde, est-ce ok?
Parfois je pense à mars 2020 et à ce monde quasi totalement à l’arrêt et je me dis qu’à cet instant, nos nullités sont devenues actions collectives. Notre instinct de survie a fait le job. Pourquoi alors pour ce qui en va de notre survie à plus ou moins long terme (qui semble de plus en plus court) ne sommes nous pas capables du même élan?
Est-ce que ce n’est pas encore assez concret? Bien sûr les vacances sont une chose mais tout le reste de nos vies? Le reste de l'année?
Nous sommes en perpétuelle dissonance cognitive; nos peurs éventuelles ne nous font pas envisager de perdre ce que l’on qualifie de confort. Quelle gueule aura ce confort dans quelques années ?
Ce que cela me montre aussi, c’est qu’en dehors de mes vacances, bien que cela soit dans ma tête tous les jours, ces pensées sont moins intenses. Parce ce que sans doute, en mouvement effréné du quotidien, j’ai moins le temps d’y penser. C’est absurde. On doit pouvoir s’arrêter pour pouvoir penser je crois. Alors oui prendre le temps de voyager pour découvrir c’est super. Mais cela a un prix que nous avons bien trop de mal à envisager à sa juste valeur. De même que le reste de nos vies le reste du temps. Ce que le covid a montré c’est que nous pouvions mettre en pause ce mouvement en avant perpétuel et que nous pouvions imaginer de nouveaux récits. Bifurquer. Cela aura duré quelques minutes dans nos têtes mais ces minutes à mon sens furent précieuses. Si nous pouvions retrouver l’urgence de cette pause collective pour être un peu moins nuls, alors que peut être nos anxiétés tant décriées par des imbéciles se calmeraient un peu. Il paraît que l’espoir fait vivre mais j’avoue que ma réserve devient de plus en plus petite. Puisse cette humanité absurde réagir avant le mur.