Ceci n’est pas un journal de confinement. Les journaux de confinement n’ont pas beaucoup d’intérêt. Je ne suis pas certaine que mon texte en ait un non plus, mais j’ai l’habitude d’écrire ce qui me passe par la tête et de le partager avec vous quelques fois par an.
Cette période surréelle ne me permettant pas du tout, au contraire, d’échapper à mes pensées, il fallait que cela prenne forme.
Alors évidemment mon travail fait que je passe mes journées à écouter, à râler et agir quand je le peux pour défendre les conditions de travail de celles et ceux qui n’ont pas la possibilité de rester à la maison. On ne télétravaille pas quand on est facteur ou factrice, on ne télétravaille pas quand la population qui s’ennuie chez elle se décide à commander des perceuses ou des lots de chaussettes en ligne. Tout ça est-ce bien raisonnable ? La réponse à mon sens est sans appel ; non.
Nous traversons une histoire mondiale et commune inédite. Il est difficile d’y entremêler la sienne, personnelle. Chacun à son avis sur un truc, moi aussi, alors qu’au fond il faudrait sans doute apprendre un peu à se taire ou au moins à réfléchir avant de parler.
En même temps, on ne peut plus faire grand-chose, il est donc assez naturel d’avoir au moins envie de l’ouvrir.
Nous sommes dans une gestion de l’urgence, nos gouvernements sont pour la plupart décevants ; on redécouvre l’importance de l’Etat ébahis de se rendre compte qu’il est malheureusement à l’image de ses électeurs, incohérent, inconsistant, changeant et terriblement mal préparé.
Non, notre monde occidental et privilégié n’était pas préparé à tout ça et nos esprits ni nos corps ne pouvaient anticiper. Des signaux peut-être auraient pu quand même allumer les esprits des dirigeants, mais malgré tout, nos générations n’ont jamais connu l’urgence absolue, comme l’urgence de fuir un pays en guerre pour tenter de trouver ailleurs un meilleur avenir. Nous ne sommes pas cellulairement prêts. Nous en souviendrons nous après ?
Apprendrons-nous de cette histoire ? Quel monde aurons-nous envie de construire à la fin de tout ça ?
Continuerons nous de détruire notre planète au nom de cette foutue économie et en contribuant ainsi aux transmissions inter-espèces qui favorisent l’émergence de ces virus puissants ?
Voudrons nous une fermeture des pays, pencherons-nous à la droite totale de l’échiquier préférant un tout sécuritaire à une politique du dialogue et de l’empathie ?
Nous aurions tant à gagner à enfin réfléchir ensemble, savoir anticiper, faire preuve de pensée longue et surtout admettre nos erreurs, montrer de la distance et de la réserve.
Aujourd’hui, je dois avouer que j’ai peur, je ne sais pas vraiment pourquoi d’ailleurs plus aujourd’hui qu’hier, j’ai peur.
J’ai peur de manière lancinante, constante, un peu comme un son aigu mais quasi imperceptible dont on ne parvient pas à trouver la source.
Il y a cet inconnu, ne pas savoir quand cela finira, comment, si on va choper cette merde ou pas, et quelle forme on développera si on le chope. Je pense à mes parents, à mon frère, de l’autre côté de la frontière, si près et pourtant je ne peux pas les voir. Ils me manquent. Mes ami.e.s me manquent aussi. Je ne suis pas seule, nous sommes quatre à la maison, c’est au moins ma chance. Nous nous aimons suffisamment pour nous supporter ; ça aussi c’est une chance.
Quand je ne travaille pas et que j’ai deux minutes pour penser à autre chose, il m’arrive de rêver un peu. Ce n'est pas si mal aussi d’arrêter de penser à la pandémie, d'arrêter de lire les dernières controverses sur un traitement mis en avant par un savant imbu de sa personne et dont l’efficacité n’est d’ailleurs pas encore prouvée. C’est moche par contre de constater que ce même médecin sort déjà un livre sur le sujet et que le monde va le commander en masse sur Amazon. Tout ça provoque la nausée. Les discours de Trump provoquent aussi la nausée (bon sa performance c’est de provoquer ça en tout temps) les conférences de presse du Conseil Fédéral provoquent le désarroi. La France inquiète, l’Italie et L’Espagne rendent profondément triste. L’apéro Skype a déjà perdu de sa saveur. Il n’y a rien de plaisant, rien ne donnant vraiment envie de créer. Nous ne sommes personne. Nous n’avons rien à dire d’intéressant. Avant que vous me fassiez parvenir le numéro de la hotline de la permanence psy locale, dites vous bien que cette tristesse est simplement à l’échelle des évènements. Nous avons toutes et tous simplement envie de vivre. Je ne sais même pas comment certaines personnes peuvent imaginer que l'on puisse préférer travailler à maintenir notre monde tel qu’il était avant cette période.
Ce monde n’était pas ok. Peut-on rêver à un monde ok pour demain ?
Un monde plus light, un monde moins dense, plus lent, moins bavard et capable d’anticiper et donc d’agir par prospective. Un monde plus tendre, un monde moins stupide et en accord avec la seule planète que l’on a. Un monde désirable où beaucoup serait à ré-enchanter.
Oui, malgré le flot quotidien d’informations anxiogènes, il m’arrive quand même de rêver. Je regarde mes enfants, si petits, et je rêve qu’ils connaissent un monde où le capitalisme ne serait pas le seul et unique moteur morbide.
Il est d’ailleurs touchant de voir toutes ces personnes d’habitude si libérales qui soudainement demandent plus de l’Etat, c’est un peu comme si elles étaient à deux doigts d’inventer le socialisme…
Nous autres humains sommes déroutants, quand nous avons une peur panique, nous partons en roue libre. Nous sommes capables de dire tout et n’importe quoi et d’en plus tenter de prouver que nous avons raison. Nos pensées produisent pourtant de belles idées mais tout va trop vite. Le cortisol sécrété nous pousse à essayer de courir avant que nos jambes puissent nous suivre, c’est regrettable quand tu penses que le but est la survie.
Vous la sentez la peur autour de vous ? Dans les blagues postées sur les réseaux pour tenter de garder la raison, dans les cris militants (oui moi aussi) afin de dénoncer encore plus fort ce que cette situation fait ressortir de prodigieusement injuste ? Dans la communication des gouvernements qui fébriles font montre de gérer ?
Bien sûr les jeanmichelologues ont tous une théorie sur ce qui aurait dû être fait, sur ce complot théorique de ce qu’on veut nous cacher et sur les soi-disant réels enjeux derrière cette crise…
Fatigue.
Je pense à mes proches artistes qui auront vu leur travail s’annuler. Je pense à mes proches qui sont leur propre outil de production et qui ne savent pas s’ils seront encore dans leur business après tout ça. Je pense à ces personnes âgées qui continuent comme avant en mode Yolo et qu’on a tous envie d’engueuler quand on les voit depuis nos fenêtres. Je pense à toutes ces travailleuses et travailleurs essentiels, qui sont mal payés et surexposés, celles et ceux qui soignent dans les conditions que l’on sait et pourtant « notre système de santé est un des meilleurs du monde » mais on manque de masques, de gel désinfectant et de tout ce qui aiderait à surmonter tout ça. Je pense à ces pays dont on ne parle pas ou plus qui n’ont pas les moyens de faire face à cette crise, je pense aux migrantes et aux migrants, entassés dans des camps et j’en ai les larmes aux yeux, je pense…
Nous autres humains ne sommes pas grand-chose, il serait peut-être judicieux de nous en rappeler. Nous l’avons oublié, ce virus vient nous rafraichir la mémoire.
Il y a peu de temps j’ai vu le titre d’un livre de physique du père d’un de mes vieux camarade du Conservatoire de théâtre, devenu depuis un metteur en scène talentueux à succès.
Je n’ai pas encore eu ni le temps ni le courage de lire ce texte et je ne pense pas avoir les connaissances pour le comprendre mais le titre m’a profondément émue.
« Et si l’Univers était un cristal et que nous en étions ses défauts de structure ? »
de Gérard Gremaud, professeur émérite de l’EPFL .
J’ai sincèrement été bouleversée par cette formulation parfaite. Elle m’a parue, au regard de ce que nous traversons aujourd’hui, la lucide explication de notre rien.
Elle a aussi fait résonner en moi toutes mes interrogations violentes et prégnantes qui m’accompagnent depuis mon enfance. Ce sentiment du rien enrobé dans le tout de notre conscience qui parfois nous pousse à vraiment trop choper la confiance ; si je peux le résumer ainsi.
J’ai toujours voulu savoir et comprendre. J’ai même, pour apaiser mes peurs, tenté la religion. Sans succès évidemment.
Il y a toujours eu en moi cette sensation de l’absurde, du pourquoi et parfois du « à quoi bon».
J’ai longtemps regretté et je le regrette encore, de ne pas avoir étudié la physique, les sciences, mais voilà je voulais tout faire, ne pouvais pas, étais une fille dans un monde genré où les filles étaient des « littéraires » et c’était déjà pas si mal voyons Virginie, et avec ta moyenne en maths, tu n’allais de toute façon pas faire des étincelles.
Ce sont mes enfants qui me ramènent au concret. Il est douloureux d’aimer aussi fort. Douloureux d’avoir cette sensation de rien quand ces petits êtres sont notre tout.
J’aimerais tellement qu’ils grandissent heureux, éveillés et alertes.
Je souhaite de tout cœur, que ce virus disparaisse aussi abruptement qu’il est apparu. Que l’on trouve un vaccin, ou du moins un traitement qui permette de mettre un terme aux cas graves, à cette fauche arbitraire.
Je formule aussi un vœu cette nuit ; je souhaite que nous prenions véritablement conscience que nous ne sommes rien et que si nous souhaitons malgré tout continuer d’exister comme un tout, cela nous demande de véritables efforts. Cela nous demande de la réflexion et de la modestie, de l’anticipation aussi pour ne plus répéter toujours les mêmes erreurs. J’ai sincèrement envie de croire que nous sommes perfectibles.
Il serait beau que notre Univers puisse nous trouver aimables.
PS : le livre de Gérard Gremaud est téléchargeable gratuitement sur son site gerardgremaud.ch
J’espère être un jour capable de le lire.