30/05/2012

"Cosmopolis" ou la fin des idées

Vous le savez j'aime le cinéma plus que le théâtre, je ne pouvais donc pas passer en ces temps Cannois à côté de ce film vu alors le jour même de sa sortie et pour lequel je trépignais déjà d'avance à chaque lancement.
Je serai donc brève et concise ( si si )
Tout d'abord ce film n'est pas à ressentir dans son immédiateté, il agit sur plusieurs heures après en être sorti; ce qui n'est pas aussi facile qu'il ne pourrait paraître. Il ne s'agit pas non plus de trouver audacieux d'associer à l'écran Robert Pattinson et Juliette Binoche, car ce duo ne dure au final qu'une seule et efficace scène. Ce n'est pas non plus une publicité pour les limousines qu'on aimerait pouvoir louer un soir pour se la péter tels des clubbers ringards à la sortie du Mad ou comme des V.I.P aux commandes de l'économie mondiale. Ce n'est pas non plus un film pour enfants, n'en déplaise aux fans de Twilight.
Ce film ne tord pas le cou aux révoltes adolescentes maladroites par un simple "no future". Ce n'est pas non plus une construction habituelle de Cronenberg.
C'est avant tout une adaptation d'une nouvelle que je n'ai pas lue pour ma part mais que je vais sans doute à présent me procurer. C'est une façon épurée et totalement efficace de vous glacer le sang et le sens.
J'ai tout simplement adoré ce bijou de cinéma.
Froid, violent de façon passive, ce film agit sur notre conscience politique de façon redoutable. Une machine de guerre face à une fin programmée du capitalisme par le truchement du regard de son protagoniste. Jeune héritier d'une famille puissante et aux commandes d'une fortune colossale, ce dernier n'ayant pas prévu la remontée d'une monnaie sur laquelle il avait pourtant parié la chute, ce dernier se retrouve ruiné et roule en une journée jusqu'à sa perte finale, perte que lui même va aider.
Le film fonctionne en deux parties, celle de la limousine et celle en dehors de la voiture blindée; blindée comme une chrysalide, le héros est protégé par cette extension de lui même dans laquelle tout est prévu pour le confort et le travail. Cet espace insonorisé l'isole du bruit du monde, monde qui se précipite d'ailleurs vers sa fin dans l'idée prédominante du capitalisme. Le héros observe en silence sans broncher les émeutes qu'il traverse, cherche à aller chez le coiffeur de son enfance qui d'ailleurs ne sait pas vraiment couper les cheveux. Pretexte pour traverser le chaos, cette coupe de cheveux ne se fera d'ailleurs qu'avec des trous et à moitié.
D'un rythme très lent qui peut être extrêmement pénible pour certains, c'est un film plus bavard qu'actif mais aucun des mots prononcés n'est inutile.Cronenberg fait bosser le spectateur et il faut l'accepter car sans cet accord on risque de passer à côté et de rester sur le bord de la route en regardant passer cette limousine.
Ce film est un échange d'idées, dans lequel les protagonistes ne cessent de s'interroger sur les âges des uns et des autres mais leur énonciation n'apporte rien à part peut-être de constater que l'incompréhesion de l'économie n'attend pas le nombre des années.
L'argent est un rat qui hante ce monde et la structure de nos sociétés est vouée à tomber tout comme au final les idées de gauche qui se battent contre le grand capital. Le prix de cette lutte est parfois trop cher à payer dans un désir d'abolir la monnaie.
Miroir de nombreuses de nos contradictions, ce film est à voir et à revoir et à apprécier sur son effet retard.
Tout comme on ne manque pas d'apprécier l'effet retard de notre cher capitalisme.



Car un titre serait une fraude...

La course du temps se poursuit, et ma trentaine avance sans se retourner. Malgré les crèmes chères et les compléments alimentaires qu'aucun druide d'une lointaine époque ne m'envierait, ma carcasse se teinte de ce quotidien rapide et sinueux. Les sillons de peau apparaissent, les envies se marquent là où elles le doivent et conserver une image fraîche me parait aussi difficile que de maintenir en vie une plante verte. Il y a pourtant cette chose dedans dont j'ai déjà parlé maintes et maintes fois. Ce décalage entre les pièces de la mosaïque qui composent la personne que je suis et un ensemble de faits avérés qui forment mon présent; qui au final ne l'est jamais...présent.
J'essaie pourtant de profiter des moments que je vis sans penser à autre chose, mais je peine souvent à y parvenir. C'est comme quand on joue sur une scène de théâtre, on raconte une histoire tout en ayant conscience de la présence du public, il y a une distance qui se crée à l'intérieur de soi, entre ce que l'on vit-joue et ce que l'on pense; enfin c'est plus ou moins comme ça que j'ai toujours envisagé le métier d'acteur et peut-être était-ce une erreur. J'ai souvent l'impression de vivre de la même manière, même si parfois l'immédiat transperce comme un éclair fulgurant. Mais ces moments sont rares et je reste emprisonnée dans ma tête dans laquelle mon cerveau fait des branches avec la pensée.
Il y a pourtant des moments plus propices à d'autres pour "lâcher le robinet à conneries" mais je dois avoir apprivoisé la situation ou la personne pour obtenir la sensation d'être bel et bien là. Alors quoi? encore des lignes de fatigue et d'ennui? Encore?
Non, car si comme le dit Jodorowsky " le futur est une fraude" il me semble que le présent l'est aussi; et c'est sans avoir peur du lieu commun que j'écris ces mots. Peut-être même que le simple fait de penser en est une. Où comment allier une forme d'ésotérisme à une analyse constructiviste totale. Il y a comme un gouffre dans lequel on plonge quand on essaie de regarder attentivement chaque chose vécue, pensée, ressentie; comme un souffle de lucidité qui n'est pas extra. Un vertige. Nous ne faisons qu'essayer de construire une cohérence sur une existence qui ne l'est pas. Nos certitudes ou ce que nous qualifions de " valeurs" ne sont que des traits construits sans cesse mis à mal par le quotidien. Il y a cette douleur diffuse de ne rien savoir de ne rien comprendre mais de tenter de s'accrocher à ce que l'on a décidé de croire; sans quoi toute forme d'existence consciente s'avère impossible. 
Ces béquilles prennent toujours différentes formes, les passions ou les raisons; indifféremment elles permettent d'envisager tous les temps de la conjugaison de nos vies et de celles des autres.
Pourtant quand on observe autour de soi, quand on se penche sur les interactions entre les êtres, sur les choix, les siens et ceux des autres...il y a toujours un goût acide qui prend le dessus dans nos cellules. Rien n'est jamais vraiment doux. Même la tendresse peut se faire âpre. Nous nous sommes socialisés de telle sorte que même ce qui grince au dedans peut revêtir une apparence rassurante.
On se contente de tout, on s'habitue à tout et même ce qui nous confère parfois une touche d'originalité ne l'est pas. Nous avons tout mis en place, tout construit pour oublier le vertige de l'ignorance.
Une réponse d'aujourd'hui peut s'avérer fausse le lendemain, comme ça, cruellement et soudainement dénuée de sens. Vidée de toute consistance.
Les relations d'hier qui nous paraissaient reliées à notre bonheur ont aujourd'hui une couleur morne et sans intérêt et ne seront demain qu'une forme de souvenir vague dont on aura choisi quoi retenir exactement au risque de projeter dessus ce qui nous arrange.
Où est donc l'espoir, où trouver la volonté? Ce n'est pas morose ni ennuyeux d'ailleurs que de se poser ces questions. J'ai pour ma part trouvé la joie de l'immédiateté dans ce qui brille, dans les matières que je caresse avec le dos de la main, dans la vulgarisation de l'astronomie, dans la science fiction, dans les photos des autres, dans le cinéma, dans l'écriture et dans les soirées d'improvisation Avracavabrac. 
Chacun trouve sa réponse, sa gélule contre le vertige.
On m'a souvent dit que je me posais trop de questions, pourtant je pense sincèrement que tout le monde, d'une manière ou d'une autre expérimente cette sensation de non sens. Il s'agit alors de l'apprivoiser à sa manière et d'en faire un moteur.
Je viens d'énoncer avec maladresse et sans paragraphes définis, une pseudo prise de conscience, un véritable mais terrible lieu commun... mais je m'en fiche.
Certains jours cette sensation d'attendre Godot est simplement plus prégnante et dépend de mon quotidien, lequel il faut le dire est plutôt à marrée basse. Mes pieds se traînent dans la vase comme la cousine bretonne ( encore elle ) allant à la recherche de coquillages. Cette tête en l'air, ne regardant pas où elle marche se coupe, mais continue de chanter à tue-tête. Elle continue de chanter car elle sait que de toute manière, il n'y a ni futur ni passé; seul résiste le moment présent tel qu'elle le défini à l'instant même. 
Elle peut rêver, imaginer, attendre, se souvenir; rien n'est certain ou limpide.
Seules ses cellules ont valeur d'existence, le reste n'est que construction. Emportée par la montée des eaux, la cousine bretonne n'est sûre que d'une seule chose:

La conjugaison est une escroquerie.