J’ai toujours
pensé que la volonté était une capacité inscrite en chacun de nous ; toujours,
jusqu’a ce que je constate que cette dernière était peut-être en moi et que je
la projetais chez les autres.
Nous ne sommes
pas égaux sur ce plan. Il y a un déséquilibre des capacités en chacun. Pour ma
part, ma volonté d’avancer et de me transformer est un moteur de vie et c’est
sans doute grâce à elle que je suis encore là à tenter d’équilibrer la balance
interne de mes émotions.
Après je reste
tordue malgré tout, tordue comme un trombone. Dans les coudées de l’objet
s’accroche les choses vues, ressenties, entendues et parfois comprises. Elles
s’y accrochent et s’y entassent.
J’ai voulu
oublier mon envie d’écrire, j’ai voulu cesser de me mettre en état méta mais il
a fini par me rattraper dans un des virages du parcours. Cet endroit était
pourtant confortable, j’y entassais tel le hamster que je suis, des paillettes,
du kitsch, des plumes et des fourrures. Insouciante, je me pensais vraiment
sortie d’affaire, je me laissais vivre avec comme seule préoccupation la
couleur de mes ongles.
Sur les routes
des Etats-Unis, en rendant réel un de mes voyages rêvés, j’ai voulu ressentir
chaque chose à chaque moment. De temps en temps, j’avais peur car je ne
ressentais pas. Cette peur assombrissait le virage-refuge le temps de quelques
miles.
Des petites
entailles dans les tissus précieux m’ont rapprochée à nouveau de cette autre
partie de moi. Celle où se trouve la volonté, la volonté de ne pas y rester.
Au retour, telle
une tornade de l’Arkansas, les questions sont tombées et ont arraché les toits.
J’aurais préféré rester aux alentours de la Nouvelle-Orléans, à contempler le
végétal à perte de vue, mais il m’a fallut revenir là où tout est un peu à
l’étroit. Là où les sentiments débordants, il faut repenser les fondations pour
que cela tienne debout.
Il n’y a donc
jamais vraiment de repos ? Le travail se devrait donc d’être
permanent ?
Cela
signifierait donc que toutes ces choses qui brillent et que j’aime ne sont que
des artefacts de l’enfance à laquelle je m’accroche ? Que mon besoin
d’être rassurée n’a rien à faire dans cette trentaine…
Oui, il est trop
tard pour les caprices. On ne peut pas sans cesse aller de l’avant puis revenir
en arrière, c’est aussi à cette forme d’acceptation que doit se raccrocher la
volonté.
Ressentir…la
volonté de ressentir…
Parfois, une
musique entendue dans un club de Nashville rendait le ressenti immédiat, entier
et fort. Partir à la poursuite des animaux sauvages de la Natchez Parkway apportait
de l’oxygène aux cellules, tout comme avoir envie de rester sur les rives du
lac Michigan afin de se laisser aller là, se laisser aller à l’avenir, en
confiance, main dans la main.
En trois
semaines de route, du nord au sud, du sud au nord, mes yeux ont emmagasiné tant
de paysages qu’il me semble que je n’ai pas encore eu l’occasion de tout digérer.
Il m’est encore impossible de mettre en balance tant de contradictions
émergeantes au détour des rues d’une ville « morte » où toute vie est
suspendue, où la pauvreté violente arpente les trottoirs comme à Memphis ou à
Gary, à quelques kilomètres du centre ville de Chicago.
Cette violence
était aussi troublante quand les gens croisés semblaient avoir abandonné la
volonté ; la volonté de bouger leurs corps handicapés par cette nourriture
irréelle avec laquelle tout le monde parait obligé de se nourrir. En face, les
starlettes de la country avec leurs cheveux interminables en trapèze battaient
le pavé dans leurs santiags pailletées.
Au détour d’un
magasin de souvenirs nommé « musée » une statue d’Elvis ratée
narguait les passants émus par cette authenticité fabriquée.
Il y aurait tant
de moments à décrire, d’émotions sourdes à dire ; la larme versée sur les
tombes de Johnny Cash et June Carter, les rires à Graceland, un sac plastique
par objet à la caisse des supermarchés, les gens cools-vegans-tatoués de West
Chicago, les rednecks du Kentucky, les orages cataclysmiques du Mississippi,
les yeux des alligators, le goût des crevettes des eaux profondes, le regard
des gens et leur « how u doin’ » et « awsome » , le sens du
business Amish malgré leurs carioles, l’horizon infini, les gas and food, les
colliers aux arbres de New Orleans, l’odeur putride des climatisations des
motels, une église par habitant, la musique, les musiques, la bienveillance des
gens du sud qui s’étonnent que l’on soit si loin « so far from
home », l’envie de manger un fruit, juste un fruit, l’envie de marcher
sans le pouvoir, Biloxi, Tupelo, la douceur du mot « Swamp »,
l’architecture délirante de Chicago, la Dodge Challenger dans laquelle il
m’était difficile d’atteindre les pédales, le bourbon, le café des autoroutes,
le monde à part des camions et de leurs conducteurs, les chapeaux de Madame
Meyer, les blessures non refermées de Katrina, les rangers dans les grottes, la
nourriture beige, l’histoire de Rosa Parks, le racisme bien vivant, ces mondes
cohabitants sans se rencontrer, ces héroïnes de cabaret burlesque vendeuses de
vintage, les magasins de cailloux et de pierres, la piscine guitare, les heures
surréalistes passées en voiture, le bonheur de partager ce voyage, l’envie de
rentrer, la peur de rentrer, l’envie d’y retourner…
L’image est
commune, pourtant juste là, il me semble que les routes américaines sont comme
une analogie de nos vies, elles semblent droites et interminables. On doit
pourtant s’arrêter pour profiter de ce paysage changeant. La Louisiane est un
paradis, l’Indiana ressemble à l’enfer. Tout y est si grand que nos sentiments
parfois ne sont pas assez larges pour s’y épanouir. À peine le temps de
reprendre le souffle de la volonté.
Issue de la vieille
Europe, je tends à essayer de comprendre au lieu de laisser la place à
l’émotion.
Je me vole en
essayant de me raccrocher à ce qui me rassure. À présent je suis dans l’âge du
Midwest.