Il y a quelques jours, une jeune femme que je ne connais que très peu a posté sur son profil instagram une photo d’elle de dos, en maillot de bain et sous laquelle elle raconte son rapport à « son cul qui taille du 42 et qui a de la cellulite ». Son témoignage a fait du bien à toutes et nous l’avons toutes partagé. Son témoignage est venu agrémenter mes réflexions en court -à vrai dire constantes depuis quelques années maintenant- sur la question de ma propre dysmorphie corporelle avec laquelle je vis depuis ma préadolescence.
Quelques jours avant j’avais aussi regardé ce formidable reportage d’Arte « On achève bien les gros » sur la grossophobie, et sur la formidable autrice Gabrielle Deydier.
Après plusieurs semaines de semi-confinement à être restée dans ma tête à tenter tant bien que mal d’appréhender les contours du monde aberrant dans lequel nous vivons ; il y avait presque une sorte de logique à ce que mes pensées réintègrent mon corps.
Malheureusement, les choses ne sont pas si simples quand il s’agit du corps. D’autant plus quand en tant que femme, on porte avec soi, en soi, tous les complexes intériorisés et validés par la domination. Je parle évidemment de ce que je connais et ce avec quoi je vis et de ce que je peux observer dans mon entourage.
En grandissant, j’ai toujours entendu ma mère se plaindre de son poids. Je l’ai toujours connue au « régime ». Dans les années 80, elle s’essaya même à ces régimes absurdes, manger des œufs tous les jours et rien d’autre ou manger de l’ananas et de la soupe aux choux. Elle faisait aussi énormément de sport et se privait continuellement de ce qu’elle aimait pour finalement ne jamais vraiment être satisfaite. Aujourd’hui elle continue à « faire attention » sans être satisfaite et faire des kilomètres de marche par semaine. Bien sûr, elle est très en forme pour ses bientôt 71 ans ; mais elle reste insatisfaite et parle perpétuellement de son poids. Il me semble d’ailleurs que ses sœurs font de même et que mes cousines ne sont pas en reste. Je parle ici des femmes de ma famille, car avec le recul j’ai pu constater comme cette « habitude » s’était transmise sur plusieurs générations sans que cela ne soit jamais vraiment remis en question. Nous sommes des femmes standard , avec des rondeurs parfois plus rondes que ce que la société attend mais tout à fait standard.
J’ai commencé à prendre des rondeurs à l’âge de 11 ans. Je venais de rentrer au collège en classe de 6ème . Mes camarades de classe avec la cruauté des enfants, commencèrent à m’appeler avec un surnom dégueulasse, « bouffie ». On faisait des blagues sur le fait que je risquais de casser ma chaise en classe ou sur le fait que je n’étais pas capable de courir en cours de sport. Quand je regarde les photos de l’époque, je ne vois pas « bouffie » je vois une gamine avec des rondeurs de gamine. J’avais pris le parti de rire avec mes camarades idiots, je voulais juste être tranquille. Le soir je pleurais, mais la journée au moins, j’étais tranquille.
Deux ans plus tard, mes camarades découvrirent que mes formes étaient devenues celles d’une jeune fille. De bouffie, je suis devenue Bibi, et les blagues sur mon poids cessèrent. Du jour au lendemain, à la rentrée de septembre.
Mais mes tristesses et mes angoisses n’avaient pas disparues, bien au contraire. Le soir au goûter je me gavais de Nutella à la cuillère jusqu’à la nausée. Arrivée au lycée, je côtoyais une camarade de classe qui souffrait d’anorexie (une parmi tant d’autre malheureusement)
D’une certaine manière cela semblait tendance, il fallait être maigre, émaciée, tranchante. Je me rêvais anorexique. Quel délire.
Ma mère me reprochait régulièrement ma gourmandise, mon généraliste me disait à chaque contrôle que j’étais en surpoids. Et moi au-dedans j’étais de pire en pire. Par-dessus s’ajouta un traitement contre mes angoisses et en quelques mois je prenais 12 kilos.
Entrée à l’école de théâtre, le traitement en moins, j’avais de nouveau perdu du poids. Mais j’entrais dans l’antichambre de la domination, du sexisme, de la maltraitance et de l’apologie de la beauté stéréotypée pour les jeunes filles et du "talent" pour les hommes. Oui eux, ils pouvaient être gros, c'était pas important.
Je ne vais pas vous faire la totalité de mon histoire, je prends des raccourcis, sans doute pas assez. Mais en gros, depuis mes 11 ans, je vis avec le reflet déformé de mon propre corps dans le miroir, éloignée de toute forme de réalité. Je ne connais pas vraiment mon image. Mon rapport à la nourriture est particulier avec des tendances d’obsession de la bonne nutrition et des phases de binge eating de burger frites et crème glacée.
Officiellement et selon la médecine, mon IMC est toujours du côté du surpoids. Je ne suis pas grosse. Être grosse dans notre société est sans aucun doute une difficulté encore plus grande. Gabrielle Deydier l’exprime parfaitement.
Tant que la société valorisera les corps minces, très minces, sans poils, sans cellulite, sans collines ni vallées, blancs, cis hétéros ; tant que la société valorisera la perte de poids comme une réussite, les jeunes filles continueront à estimer leur valeur en fonction de la seule et unique adhésion à ces critères.
Bien que j’ai su déconstruire tout ça, je continue pourtant à me plaindre de mon image.
Je n’arrive pas pleinement à adhérer au mouvement « body positive » non plus. Non pas que je ne partage pas l’idée, au contraire. Je n’arrive par contre pas à rentrer vraiment dans ce courant. Je vois ça d’ailleurs parfois comme une nouvelle injonction. En même temps, ce mouvement est fondamental. Normaliser les corps, tous les corps, est une urgence quotidienne.
Il faut inverser le stigmate en quelque sorte et être capable de voir que ces corps dits parfaits utilisés pour vendre des yaourts et des chauffages ne sont pas naturels. Que rien dans ce monde normé n’est naturel. Et que ce monde on n’en veut plus.
J’essaie d’accepter que je fais du sport pour mon cœur et ma tête et pas seulement pour mon cul. Que je mange quand j’ai faim et que je m’arrête quand cette faim est comblée. Que si je commence une obsession type, enlever les glucides, c’est que ça ne va pas très bien dans ma tête. Que si je m’invente une intolérance au gluten et au lactose, c’est que cela ne va pas très bien dans ma tête. Que si je mange des frites chaque jour pendant une semaine, c’est que cela ne va pas très bien dans ma tête. Que si je me regarde dans le miroir sous toutes le coutures en imaginant couper des bouts de peau, c’est que cela ne va pas très bien dans ma tête. Que si je fais mille selfies par semaine ET que je les poste, c'est que cela ne va pas très bien dans ma tête.
Tous ces « réflexes » sont liés à la domination, aux injonctions faites aux femmes depuis toujours. Une femme, ça mange des légumes vapeurs et ça « fait attention » et ça fait un 36.
Une femme ne mange pas de grosses portions. Si une femme est grosse, alors elle doit être drôle. Comme pour « compenser ». Ah et si une femme est grosse, c’est parce qu’elle ne fait pas d’efforts et que c’est de sa faute.
Et bien sûr, si une femme a des enfants, elle doit dès sa sortie de la maternité avoir retrouvé son poids d’avant, voire moins.
Rien d’étonnant à ne plus vouloir supporter tout ça, rien d’étonnant à vouloir tout casser et foutre le feu. Et bien entendu et comme vous le savez, il ne s’agit que d’un seul des trop nombreux visages de la domination. Nous devons éduquer nos filles à l’acceptation d’elles-mêmes et des autres. Nous devons élever nos fils en déconstruisant ces travers genrés.
Nous devons éduquer notre monde, à coup de rages, de tweets, de posts, de manifs, de bons mots bien placés et dans les urnes.
Je ne dis rien de nouveau évidemment. Je ne fais que raconter ma vie, comme d’habitude pour parler d’un sujet plus large. Mon féminisme apprend tous les jours. C’est sain, normal. Il n’y a pas de cohérence absolue militante ou non. Mais il est important de poser les bases de nos déconstructions. Ce n’est pas vulgaire, on peut aussi même en rire car non, on ne peut pas "ne plus rien dire".
Il est par contre fondamental de reconnaitre que l’intersectionnalité est la seule convergence possible. Qu’un féminisme qui exclue est un féminisme qui se plante.
Toutes les femmes n’ont pas d’utérus et toutes les personnes avec un utérus ne sont pas des femmes. Exclure les femmes trans de nos combats est grave. Exclure les femmes racisées est grave. Estimer qu’une femme qui choisit le voile ne peut pas être féministe, est grave.
On ne peut pas exclure, en fait. C’est ça la base.
Voilà j’arrive au bout de ce texte qui n’invente rien. Je répète des faits. Je raconte par contre un peu, cette pénible dysmorphie avec laquelle nous vivons quasi toutes à des échelles différentes. La seule coupable est la domination (masculine, patriarcale)
Soyons nos propres allié.es.x
Oui l’écriture inclusive est belle.
Ces derniers mois nous ont montré à quel point notre monde pouvait se casser la gueule du jour au lendemain ou presque, pauvre capitalisme.
À quoi cela rimerait-il de continuer à se faire du mal? Soyons enragé.es.x, levons-nous et cassons-nous. Ne nous laissons pas diviser.
Et cela commence aussi par respirer un peu , marcher dans la rue en écoutant de la musique, regarder le ciel, porter le masque quand il le faut, et le tomber face à nos miroirs.
Courage à vous.
Ci-dessous, deux trois liens importants et intéressants :
Le reportage sur Gabrielle Deydier, "On achève bien les gros" https://www.youtube.com/watch?v=hNx7uhVCOfQ
L'épisode du podcast des couilles sur la table à propos du rapport genré é l'alimentation