44 ans aujourd’hui. Pas vraiment l’âge de l’inventaire, mais les années s’enchainent si vite que parfois j’aimerais appuyer un peu sur pause. 44… 4X4 comme me disait mon père au téléphone en pensant à une voiture tout terrain. Oui je n’aime pas les voitures mais je suis effectivement tout terrain.
Si je regarde en arrière, il y a sans doute plein de choses que j’aimerais faire différemment mais globalement je suis plutôt satisfaite. Puis-je dire que j’ai réussi ma vie ? Aucune idée, je n’adhère que peu à ce type d’échelle de valeurs. Bien sûr, en tant qu’habitante du monde capitaliste, je peux dire que dans l’idéal, j’aimerais un poste à responsabilités, plus de pouvoir et sans doute plus d’argent et botter le cul des phallocrates et du patriarcat, le libéral de droite mais aussi celui qui se cache, mal, sous ses idées de gauche. D’un autre côté, je me rêve en famille dans une maison avec une grande fenêtre qui ouvre sur des arbres. Lisant dans un coin de la pièce ou dessinant quelque chose sans avoir à me soucier de quoique ce soit. La réalité est hybride. Notre monde est tellement désenchanté que parfois j’en ai le tournis. Et pourtant je ne suis plus une débutante. J’ai 44 ans. J’ai été comédienne, j’ai fait du chant lyrique, j’ai habité à Saint-Pétersbourg, j’ai fait de la danse moderne, j’ai repris des études à 29 ans, j’ai bossé, dans des clubs, dans des bars, j’ai aimé des garçons et j’ai eu mal, j’ai tapé dans des murs avec des santiags aux pieds, j’ai bu trop de gin tonic et fumé trop de clopes. J’ai détesté mon corps, j’ai nagé des kilomètres et des kilomètres. J’ai déménagé, beaucoup, mais je suis restée dans la même ville. J’ai aimé un garçon et je l’aime encore, j’ai accouché deux fois, je n’ai aucune certitude sur la parentalité. J’ai abandonné mes velléités artistiques au profit d’une colère sociale professionnelle. Je ne sais pas parfois à quoi je sers. J’aime mon travail mais pas tout le temps. Je n’ai pas envie d’être une recruteuse pour le mouvement. Je voudrais décider des choses et les changer. Je suis hypocondriaque et angoissée, depuis toujours. Je vis avec, mieux mais avec. Souvent je me sens seule. À côté, spectatrice, de travers. Ce n’est pas grave. Je suis narcissique mais pas toujours. Je m’expose beaucoup trop sur les réseaux, je ne sais pas pourquoi je le fais, c’est irrésistible. Je répare mes failles. Je fais encore le deuil d’une de mes amies. On ne devrait pas mourir à 45 ans.
J’observe mes rides, je me demande à quel moment je vais craquer pour des injections pour les atténuer. Je suis obstinément ironique, je me fatigue et me lasse de tout. J’ai peur de l’avenir, du dérèglement climatique et encore plus de ceux qui s’en tapent le cul par terre. Demain, je pourrai dire que j’aurai vu l’intégrale des 11 saisons de The Walking Dead, mais aussi tous les films de Zviaguintsev. Je fais de la photo, j’écris parfois, je fais du nail art comme d’autres font du yoga. Je juge mon prochain, nous le faisons tous. Je ne suis choquée ou étonnée par rien. Je suis intransigeante et j’ai l’obstination de la mâchoire d’un pit bull. J’aime regarder les villes la nuit, les faits divers et les crimes non résolus. Je ne suis pas fascinée, seulement intriguée. J’aime le mois de novembre et les ciels roses de fin de jour en hiver. Je voudrais voyager davantage mais je ne veux pas prendre l’avion. Je ressens de la colère, souvent, quotidiennement et des envies de casser des trucs. Je n’ai plus envie de demander poliment. Je pense qu’il faut du courage pour sortir d’une vie qui ne nous convient plus et d’un système qui nous propulse vers la catastrophe. Je voudrais que tout le monde entier fasse des psychothérapies et que l’on ait l’audace collective de la remise en question.
Rien n’est jamais figé. Il n’y a pas de destinée, je n’y crois pas. Des accidents et des tourments sans doute, des injustices trop souvent mais il y a surtout des choix.
J’espère que l’année suivante me sera un peu plus douce que cette dernière, mais rien n’est jamais certain. Quels choix vais-je faire ? Aucune idée. En attendant ce soir, j’ai 44 et je me dis que ce n’est déjà pas si mal. Elle est chouette cette vie. Merci.