Est-ce qu'il existe un mot en français qui traduit l'ambivalence d'un ressenti ? celle qui te fait ressentir en même temps une forme de tristesse lasse et de satisfaction joyeuse...? J'ai beau chercher, je ne trouve pas. Cela ne rend pas mes introspections quotidiennes très confortables car je déteste ne pas trouver le mot qui convient. Quoiqu'il en soit, cet état sur lequel je ne peux pas mettre de qualificatif, est celui dans lequel je me trouve en ce moment. Pourquoi?
Parce que le dernier contrôle cardiologique de Wilma est bon, enfin les pronostics sont bons; sur les deux communications dans son coeur qui ne devraient pas être là, une s'est quasi complètement refermée et l'autre s'est réduite de moitié. Ainsi, si cela continue, ce petit coeur en gruyère de dessin animé (puisqu'on sait tous et toutes qu'il s'agit en fait d'emmental) ne devrait pas subir d'opération.
C'est une formidable nouvelle n'est-ce-pas?! Mais voilà... elle ne mange toujours pas sans l'aide de ce petit tuyau dans son nez. Selon sa cardiopédiatre, dont les compétences ne sont décidément pas à mettre en doute, (je la surnomme "URSS") il est à présent impossible que ses problèmes alimentaires continuent de venir de son coeur car, même si pas encore guéri, il va mieux et ne cause plus d'insuffisance cardiaque ni de surcharge de l'artère pulmonaire (oui entre temps j'ai fait médecine sur Wikipédia et dans les groupes Facebook de parents d'enfants avec des cardiopathies).
Donc pour elle, une explication possible est qu'elle soit devenue dépendante à la sonde naso gastrique; elle souhaite donc l'hospitaliser pour tenter un sevrage. On entre au CHUV demain.
Je ne vous cache pas que j'y vais un peu à reculons même si je suis la première à souhaiter qu'on se débarrasse de cette satanée sonde. Voilà donc pour les nouvelles du tunnel. C'est plutôt en bonne voie évidemment et je devrais me réjouir. Il y a une chose que j'ai apprise depuis ces trois mois et demi, c'est qu'il faut garder la tête froide pour pouvoir la garder sur les épaules. Je pense que je serai capable d'être vraiment soulagée et heureuse qu'au moment où ma fille sera considérée comme totalement guérie, et cela implique donc qu'elle mange par elle même.
Demain, donc, nous entrons au CHUV pour ce sevrage, sans savoir quand nous en sortirons. Demain donc, il va nous falloir à nouveau "dealer" avec le cortège de médecins assistants, de chef.fe.s de clinique et de médecins cadres qui changent plus ou moins toutes les semaines, à qui il va falloir expliquer à chaque fois le dossier de Wilma et qui auront chacun.e leur tour des idées valables ou saugrenues. Il faut avoir confiance, bien sûr. Heureusement toutefois que "URSS" sera au même étage et pas loin pour superviser si cela ne se passe pas bien cette fois.
Je suis dure avec les soignant.e.s, je sais, je suis une maman pénible. Mais sincèrement, quand après plus d'un mois à l'hôpital de l'enfance, une des médecins nous dit "faut rentrer chez vous car au final ici, on ne vous fait plus que le gite et le couvert" alors que votre fille ne mange toujours pas et qu'elle n'a eu que deux examens en 5 semaines...on a quand même envie de casser des meubles.
Malgré tout, j'avoue que nous allons mieux, on s'habitue à tout peut-être, mais aussi parce que cette enfant nous montre chaque jour comme elle se bat, comme elle rigole, comme elle nous sourit et on sait que bientôt, ce sera derrière nous. Enfin on l'espère. Parfois j'ai peur qu'il y ait de nouvelles mauvaises surprises, ce genre d'épreuve rend un peu parano. J'ai peur qu'on lui trouve une autre maladie, une autre malformation quelque part, qu'elle ne parvienne jamais à manger seule ou qu'elle développe trop de troubles d'oralité. D'un autre côté, je me dis que ça suffit à présent, et qu'il n'y a pas de raison que cela ne s'arrête pas et que l'on puisse retrouver une vie un peu normale.
Partir quelques jours en vacances avec les kids par exemple, se promener avec Wilma sans que les gens la regardent bizarrement et avec insistance parce qu'elle a une sonde et des sparadraps. Ne plus être dépendants des heures de repas à la pompe et donc dépendants de notre domicile, voir des ami.e.s, faire des trucs, des choses, autre chose. Et se dire que non, peut-être, elle n'aura pas à être opérée "à coeur ouvert", expression utilisée à outrance sur les forums de parents d'enfants cardiopathes comme pour montrer à quel point c'est plus grave et plus important. Alors oui bien évidemment ça l'est, mais c'est surtout je crois pour ces parents une façon de dire que ce sont eux qui survivent à cette opération, peut-être plus que leur enfant qui n'en gardera qu'une longue cicatrice sur le thorax.
On gère comme on peut ces épreuves, avec des bagages différents et inégaux, c'est comme ça.
Ahhh, ces forums. Je ne pensais pas qu'ils pourraient m'être d'une vraie aide ni qu'ils me permettraient de faire la connaissance de personnes formidables avec qui échanger sur le seul sujet qui nous passionne vraiment en cette période de nos vies. Ils sont aussi par contre des endroits où la faillite de l'orthographe est extrême, mais je ne souhaite pas que l'on m'accuse de mépris de classe, je constate ça uniquement d'un point de vue sociologique. Dans la même idée, ce sont des plages d'expressions de croyances et de constructions qui peuvent parfois faire sourire ou inquiéter. Si la grande majorité des parents sur ces forums ont confiance en la médecine classique, la cardiologie en effet, ne laisse que peu de place à l'homéopathie, ces fils de discussions m'ont montré à quel point la parentalité d'enfant malade faisaient ressortir des schémas, des blocages, des frustrations et des colères. Beaucoup par exemple, préfèrent se fier aux explications des parents du forum plutôt qu'à celles de leurs médecins après un contrôle. De là à y voir un gros problème de communication de la part des soignant.e.s il n'y pas beaucoup de pas à faire. Il y a aussi parfois une sorte de concours des parents qui ont les enfants qui ont le plus souffert, ou qui ont eu le plus d'opérations avec les vieux qui "savent" et qui expliquent et interviennent à chaque fil de discussions.
De plus, ces espaces sont considérés comme safe par la plupart des intervenant.e.s, ainsi les gens n'hésitent pas à partager des photos de leurs enfants sous toutes les coutures et à comparer leurs cicatrices. Il y a aussi les photos des tatouages qu'ils et elles se font (souvent elles en fait) des fréquences cardiaques de leurs enfants ou de leurs prénoms. J'ai même vu passé il y a peu de temps quelqu'un qui regrettait de ne pas pouvoir se faire faire un scarification pour avoir la même cicatrice que son enfant mais qui malgré tout allait se faire tatouer l'équivalent au même endroit.
J'en suis restée assez dépassée par une telle volonté, j'avoue. Je me suis aussi un peu tapé le front avec le plat de la main en me demandant combien d'années de thérapie il faudrait à ces parents pour dépasser ces souffrances, les leurs mais aussi celles de leurs enfants qu'ils et elles doivent exprimer par procuration puisque ces derniers souvent encore bébés ne sont pas à même d'exprimer. C'est une double peine en quelque sorte.
Puis je me suis reprise, j'ai rangé mon sarcasme habituel dans un tiroir de ma tête et je me suis rappelée que j'en faisais partie de ces parents. Que sans doute, moi aussi, j'irais me faire tatouer quelque chose après tout ça. Que moi aussi il m'arrivait de démarrer un fil de discussion en demandant conseil et que moi aussi j'avais repris une thérapie pour pouvoir gérer en parallèle et que c'est une question d'hygiène mentale urgente. Bon le problème souvent, c'est que ces parents ne demandent pas d'aide pendant et se ramassent la claque après. La seule fois où j'ai demandé à une maman qui me disait galèrer moralement si elle voyait quelqu'un pour l'aider, cette dernière m'a répondu qu'elle allait très bien merci. Double peine donc et deux poids deux mesures, les masques sociaux des forums et les ressentis bloqués d'ordre privés; on s'étale tout en gardant pour soi ce qui fait vraiment mal. Simple, basique.
Il est difficile de rester dans la bienveillance constante, difficile de faire confiance, de continuer à avancer quand le hasard de la vie vous vole du bonheur au profit d'une joie en demi teinte.
Quand on devient parents, on se rend compte que nos enfants nous apprennent plus sur nous-mêmes que nous ne le pensions possible. Ils sont là, bébés, ne pouvant pas encore parler et pourtant s'engage avec eux dès la naissance une discussion de la connaissance, une révélation quasi mystique quant à l'existence. Quand on met au monde un enfant qui en plus arrive avec une malformation et donc une maladie, cette conversation en est encore plus dense et surtout empreinte quelquefois de plus d'ambivalences. Il est compliqué de rester conscient de ce que cela provoque, des peurs de perte comme des peurs de rancoeurs, de surprotection ou encore parfois de désintérêt par épuisement. Pire encore, la question de l'amour que l'on ressent, du lien que l'on retient un peu comme pour ne pas trop souffrir si cela tournait mal.
Identifier ces ressentis et surtout être à même de les exprimer est un exercice qui peut être si pénible qu'à la fin, je ne peux que comprendre l'envie de se faire tatouer une fréquence cardiaque plutôt que de s'exprimer consciemment. Ce genre de moments de vie plonge dans une vase si sombre qu'être lucide et conscient, semble bien impossible.
Voilà, je vous aurais bien parlé d'autre chose, de croyances ésotériques qui m'interrogent, des dernières polémiques dans mon si cher pays qu'est la France, le voile de la représentante de l'UNEF (je me serais encore faite traitée d'islamo-gauchiste), cet homme qui se voit naturalisé pour avoir sauvé un enfant de façon hallucinante et qui ne l'aurait sans doute pas été sans son geste formidable (comme si le passeport devait se résumer à l'héroïsme), de féminisme (non il n'y a pas de hiérarchie dans les combats) d'écriture inclusive (je ne sais pas faire le point médiant sur mon ordi et ça m'énerve) de la Russie (parce que c'est mon autre passion) de mes presque 40 ans (deux enfants, corps en ruine, je sais on s'en fout mais ça fait mal quand même) de mon récent mariage (oui j'ai changé de nom de famille, j'ai choisi de perpétuer une norme patriarcale, pardon) de mon manque de sorties culturelles (comme dirait une quadra, oh wait...ah ben oui j'ai 40 ans cette année) de mon manque de voyages (en Russie mais pas seulement) de mes interrogations professionnelles (que compte tenu de mes prochains 40 ans, je ne peux plus trop me permettre) de mes plans de carrière (non je déconne)...sinon je vous ai dit que j'avais 40 ans cette année?
Voilà, je vous aurais bien parlé de tout ça aussi, mais en ce moment je n'ai pas trop de place pour autre chose que ce dialogue avec mon deuxième enfant qui chaque jour m'apprend un peu plus sur le mystère de nos cellules, de nos pensées, et pour cela je ne peux que lui dire que je l'aime et lui dire merci.