29/07/2023

Vacances, pause, pensées d'été 2023


C’est quoi exactement la « détente »? Est-ce que cet état physique et psychique existe réellement ou bien est-ce une construction volontariste d’un ressenti ? Les vacances sont-elles le moment tant attendu de la « détente » quand il est absolument impossible de se détendre en étant parents ou en ayant les yeux un peu ouverts au monde? C’est dans un bordel mental assez conséquent que ces questions m’auront trotté dans la tête un peu tous les jours. C’est les vacances donc, c’était les vacances. Celles tant attendues, souhaitées, espérées et imaginées. Celles de l’été. Celles en Italie comme tous les étés ou presque depuis quelques années, celles sur Isola d’Elba pour la deuxième fois. Cette île déclenche en moi un sentiment d’appartenance mais je ne sais pas pourquoi.
 

Je sais seulement que je suis une « enfant de la Méditerranée » non pas que j’ai grandi en bord de mer , mais tous mes étés d’enfant et de début d’adolescence auront été liés à elle. Pour moi, c’est elle, la mer. Je me souviens qu’une fois, alors en vacances au bord de l’Atlantique vers Biarritz et bien qu’épatée par cette beauté, je ne me sentais pas à ma place. Peut-être parce qu’élevée en partie par ma grand-mère née à Marseille, quelque chose me relie à elle. Pour moi, les vacances, c’est avec elle, auprès d’elle. 

Pourtant, cette année, comme l’année passée et sans doute les années d’avant, je n’ai pas vraiment réussi à « lâcher ». J’ai bien évidemment adoré découvrir de nouveaux lieux sur l’île, manger des merveilles, faire du snorkling, nager, rire, boire des Campari Spritz, ramasser des galets et pierres pour compléter ma collection, être en famille, tout les quatre. J’ai aimé mes vacances sur cette île adorée. Mais je n’ai pas « lâché ». Je me dis que c’est une capacité que je n’ai pas, trop anxieuse, inquiète; cela ne m’est pas possible. Est-ce que c’est possible pour vous? Avez-vous cette chance? Ce privilège?

En même temps, comment y parvenir dans l’état de notre monde? La première semaine, nous avons littéralement cramé comme jamais dans cette zone géographique. La chaleur était si intense que nous avons hésité à partir plus tôt. Puis les nouvelles des incendies sont arrivées, celle des orages de grêle et la tornade. Et je me suis dit encore une fois que partir en vacances était une connerie car même sans avion, nous avons participé à émettre bien trop de co2. Ensuite je me suis demandé à quoi bon m’en faire puisqu’il semble que bien trop peu de personnes ne se font suffisamment de soucis pour arrêter de « partir en vacances » . Car oui c’est bien ça le problème, nous sommes collectivement nuls à chier. Alors bien sûr on peut dire que les grosses entreprises pollueuses sont en première position de la connerie, ainsi que les gouvernements qui ne font simplement pas assez et pas assez vite parce que bon, ce n’est pas possible. Au fond, je n’en sais trop rien, mais il semble clair que nos volontés sont vraiment collectivement nulles à chier oui ou du moins totalement insuffisantes. 

Je ne parle pas des conspifafs imbéciles pour qui le dérèglement climatique est fake. Je ne comprends pas non plus comment les libérous peuvent préférer le fric et la croissanceuh au fait que leurs enfants puissent vivre sur une planète habitable. Sincèrement tout ceci m’échappe. De même que mes jolies idées quand il s’agit de rejoindre ce coin de Méditerranée. 

Difficile aussi, de ne pas penser au fait que le deuxième nom de cette mer est aussi « mer cimetière ». Quand je me baigne, combien de personnes s’y noient en espérant rejoindre une vie meilleure, avec leurs enfants souvent si petits, avec leur fuite d’une catastrophe, leur instinct de survie chevillée à leur courage d’entreprendre cette traversée. Difficile de ne pas penser à nos impuissances individuelles face à nos nullités collectives. 

Cette mer, bien trop chaude à cause du dérèglement, cette mer aussi en perte de sa biodiversité bien trop rapide. C’est vraiment un privilège de pouvoir décrocher pendant ses vacances quand tout ça passe par la tête en permanence. Je fatigue d’ailleurs tout le monde. Chaque année, la même rengaine, chaque année je m’énerve contre des courants d’air, et pourtant chaque année nous repartons. Car chaque année j’ai besoin de retrouver ma si chère Méditerranée et chaque année ma tête me fait la même danse d’anxiété. 

Et à chaque fois je me dis ce que chacun et chacune se dit (peut-être) pourquoi je ferais des efforts puisque personne n’en fait? Ou si peu…parce que oui, moi aussi j’aimerais retourner aux États-Unis et découvrir le Japon et la Corée du Sud. Ou simplement voyager plus loin en Europe que d’habitude. Mais en l’état de notre monde, est-ce ok?

Parfois je pense à mars 2020 et à ce monde quasi totalement à l’arrêt et je me dis qu’à cet instant, nos nullités sont devenues actions collectives. Notre instinct de survie a fait le job. Pourquoi alors pour ce qui en va de notre survie à plus ou moins long terme (qui semble de plus en plus court) ne sommes nous pas capables du même élan?

Est-ce que ce n’est pas encore assez concret? Bien sûr les vacances sont une chose mais tout le reste de nos vies? Le reste de l'année?

Nous sommes en perpétuelle dissonance cognitive; nos peurs éventuelles ne nous font pas envisager de perdre ce que l’on qualifie de confort. Quelle gueule aura ce confort dans quelques années ?

Ce que cela me montre aussi, c’est qu’en dehors de mes vacances, bien que cela soit dans ma tête tous les jours, ces pensées sont moins intenses. Parce ce que sans doute, en mouvement effréné du quotidien, j’ai moins le temps d’y penser. C’est absurde. On doit pouvoir s’arrêter pour pouvoir penser je crois. Alors oui prendre le temps de voyager pour découvrir c’est super. Mais cela a un prix que nous avons bien trop de mal à envisager à sa juste valeur. De même que le reste de nos vies le reste du temps. Ce que le covid a montré c’est que nous pouvions mettre en pause ce mouvement en avant perpétuel et que nous pouvions imaginer de nouveaux récits. Bifurquer. Cela aura duré quelques minutes dans nos têtes mais ces minutes à mon sens furent précieuses. Si nous pouvions retrouver l’urgence de cette pause collective pour être un peu moins nuls, alors que peut être nos anxiétés tant décriées par des imbéciles se calmeraient un peu. Il paraît que l’espoir fait vivre mais j’avoue que ma réserve devient de plus en plus petite. Puisse cette humanité absurde réagir avant le mur. 






13/11/2022

44 ans

 

44 ans aujourd’hui. Pas vraiment l’âge de l’inventaire, mais les années s’enchainent si vite que parfois j’aimerais appuyer un peu sur pause. 44… 4X4 comme me disait mon père au téléphone en pensant à une voiture tout terrain. Oui je n’aime pas les voitures mais je suis effectivement tout terrain.

Si je regarde en arrière, il y a sans doute plein de choses que j’aimerais faire différemment mais globalement je suis plutôt satisfaite. Puis-je dire que j’ai réussi ma vie ? Aucune idée, je n’adhère que peu à ce type d’échelle de valeurs. Bien sûr, en tant qu’habitante du monde capitaliste, je peux dire que dans l’idéal, j’aimerais un poste à responsabilités, plus de pouvoir et sans doute plus d’argent et botter le cul des phallocrates et du patriarcat, le libéral de droite mais aussi celui qui se cache, mal, sous ses idées de gauche. D’un autre côté, je me rêve en famille dans une maison avec une grande fenêtre qui ouvre sur des arbres. Lisant dans un coin de la pièce ou dessinant quelque chose sans avoir à me soucier de quoique ce soit. La réalité est hybride. Notre monde est tellement désenchanté que parfois j’en ai le tournis. Et pourtant je ne suis plus une débutante. J’ai 44 ans. J’ai été comédienne, j’ai fait du chant lyrique, j’ai habité à Saint-Pétersbourg, j’ai fait de la danse moderne, j’ai repris des études à 29 ans, j’ai bossé, dans des clubs, dans des bars, j’ai aimé des garçons et j’ai eu mal, j’ai tapé dans des murs avec des santiags aux pieds, j’ai bu trop de gin tonic et fumé trop de clopes. J’ai détesté mon corps, j’ai nagé des kilomètres et des kilomètres. J’ai déménagé, beaucoup, mais je suis restée dans la même ville. J’ai aimé un garçon et je l’aime encore, j’ai accouché deux fois, je n’ai aucune certitude sur la parentalité. J’ai abandonné mes velléités artistiques au profit d’une colère sociale professionnelle. Je ne sais pas parfois à quoi je sers. J’aime mon travail mais pas tout le temps. Je n’ai pas envie d’être une recruteuse pour le mouvement. Je voudrais décider des choses et les changer. Je suis hypocondriaque et angoissée, depuis toujours. Je vis avec, mieux mais avec. Souvent je me sens seule. À côté, spectatrice, de travers. Ce n’est pas grave. Je suis narcissique mais pas toujours. Je m’expose beaucoup trop sur les réseaux, je ne sais pas pourquoi je le fais, c’est irrésistible. Je répare mes failles. Je fais encore le deuil d’une de mes amies. On ne devrait pas mourir à 45 ans.

J’observe mes rides, je me demande à quel moment je vais craquer pour des injections pour les atténuer. Je suis obstinément ironique, je me fatigue et me lasse de tout. J’ai peur de l’avenir, du dérèglement climatique et encore plus de ceux qui s’en tapent le cul par terre. Demain, je pourrai dire que j’aurai vu l’intégrale des 11 saisons de The Walking Dead, mais aussi tous les films de Zviaguintsev. Je fais de la photo, j’écris parfois, je fais du nail art comme d’autres font du yoga. Je juge mon prochain, nous le faisons tous. Je ne suis choquée ou étonnée par rien. Je suis intransigeante et j’ai l’obstination de la mâchoire d’un pit bull. J’aime regarder les villes la nuit, les faits divers et les crimes non résolus. Je ne suis pas fascinée, seulement intriguée. J’aime le mois de novembre et les ciels roses de fin de jour en hiver. Je voudrais voyager davantage mais je ne veux pas prendre l’avion. Je ressens de la colère, souvent, quotidiennement et des envies de casser des trucs. Je n’ai plus envie de demander poliment. Je pense qu’il faut du courage pour sortir d’une vie qui ne nous convient plus et d’un système qui nous propulse vers la catastrophe. Je voudrais que tout le monde entier fasse des psychothérapies et que l’on ait l’audace collective de la remise en question.

Rien n’est jamais figé. Il n’y a pas de destinée, je n’y crois pas. Des accidents et des tourments sans doute, des injustices trop souvent mais il y a surtout des choix.

J’espère que l’année suivante me sera un peu plus douce que cette dernière, mais rien n’est jamais certain. Quels choix vais-je faire ? Aucune idée. En attendant ce soir, j’ai 44 et je me dis que ce n’est déjà pas si mal. Elle est chouette cette vie. Merci.



 

16/05/2022

À Stefania, parce que j'en avais besoin

 

J’ai rêvé de toi cette nuit ; ou peut-être es tu venue me visiter en rêve, je ne sais pas.

Je voyais ton visage lumineux et doux et tu éclatais de rire, de ton rire joyeux, enthousiaste et tendre. Tu t’es envolée le 15 avril 2022, et c’est la première fois cette nuit que j’arrive à me connecter à ton absence. Jusque-là, il y avait ce vide et cette pointe au cœur quand je pensais à toi, que mon cerveau devait faire l’effort de rendre réel ton départ.

Mon rêve ne rend pas pour autant ton absence acceptable, il m’a néanmoins fait du bien à l’âme.

Je t’ai revue quelques secondes, très concrètement et ai entendu ta voix inoubliable et ton rire si tendre.

Tu me manques. Tu me manques énormément. Une partie de moi s’était préparée à ton éventuel départ mais je m’étais toujours refusée à y croire. Je ne voulais pas t’envoyer mentalement du désespoir.

Quand nous nous somme connues, nous étions toutes les deux en année préparatoire du conservatoire de théâtre. Je devais avoir 19 ans, toi deux de plus. Nous étions des enfants. Tu avais déjà cette maturité douce et confiance forte en la vie. Moi j’étais encore blessée par mon adolescence à problèmes. Tu m’as prise sous ton aile et nous avons travaillé ensemble sur un texte à présenter. C’est comme ça que notre amitié a commencé. Puis tu es partie pour Montréal, ce fut long mais pour toi fondateur de tant de choses positives et magiques. À ton retour, tu t’es installée à Lausanne et tu as commencé à travailler. Peu de temps après tu rencontrais David. Je me souviens d’un soir au théâtre 2.21. Tu avais joué et David était venu te voir, autour du verre que nous partagions à la suite du spectacle, il te regardait comme épaté. Cet échange de regards entre vous en disait long, moi je faisais l’andouille comme d’habitude. À la suite de cette soirée, vous êtes devenus Stefania et David, David et Stefania. Votre géométrie qui m’a toujours semblée parfaite aura sans doute nécessité du travail, vos intelligences magnifiques et votre confiance absolue.

Quand je me suis retrouvée à la rue du jour au lendemain après une séparation, vous m’avez hébergée, réconfortée et soutenue comme une petite sœur cassée. Je ne pense pas avoir été en mesure de vous remercier à la hauteur de votre amitié si précieuse à cette période-là. Bien que cette séparation fût la meilleure chose qui pouvait m’arriver, rien n’était simple et sans vous cela aurait été encore pire. Que ces moments partagés sont précieux à mon cœur et à ma mémoire. Nos longs repas ponctués de nos longues discussions à cette table noire, dans votre cuisine où posés comme sur un trône, les chandeliers sculptés par les bougies rouges fondues. Nos rires, les films et séries décortiqués ; nos échanges et confidences, votre amitié. Ton amitié. Entière, omnisciente et indéfectible.

Ton soutien quand dans mes errances, tu me mettais sur une piste juste. La douceur sucrée quand tu me prenais dans tes bras. Je ne sais pas combien de temps il me faudra pour que mon cerveau ne doive plus faire l’effort de rendre ton départ réel. Je n’arrive pas à m’y faire. Ce n’est pas juste, ce n’est pas normal que tu ne sois plus là. Il est aberrant que tes filles ne puissent plus être avec toi, que David soit veuf. Il n’y a rien de normal dans ces déchirures de vie.

Parfois la tristesse laisse place à une colère légère mais intense. C’est quoi ce destin s’il existe ? Où est le sens dans tout ça ? Qui a donné son accord pour ce scénario ? Pourquoi ? Je sais que tu croyais à la lumière, au sens des choses, à ce qui échappe au regard commun. Tu voyais des énergies particulières, tu aspirais à la magie et tu avais ces flashes, ces ressentis. Je t’ai toujours écoutée avec respect malgré mon incapacité à croire. Tu as toujours été la seule que je ne pouvais pas juger quant à son ésotérisme. Tu semblais connectée à quelque chose de plus subtil et je le respectais avec tout mon amour. Je te faisais rire avec mes phrases maladroites sur le sujet ; nous échangions de cette manière. Et cela fonctionnait très bien. Pour moi qui ai toujours cru à quasi rien ou pas grand-chose, ton départ vient interroger cette absence de foi et il est extrêmement troublant parfois, de croire te voir au détour d’une pièce ou assise à table avec moi en ce moment même où j’écris ces mots.

Nous nous sommes peu vues cette dernière année, marquée pour toi par des attaques sournoises de la maladie qui ne te laissait jamais tranquille depuis bien trop longtemps. Malgré tout nous échangions encore par messages vocaux. Je les ai tous archivés, je veux tous les garder, comme les talismans du souvenir. Pour ta voix que j’aime tant et ta façon si particulière de dérouler le sens de tes pensées. J’ai encore écouté le dernier message du 20 mars 2022, dans lequel tu me préviens de la nouvelle épreuve à laquelle tu dois faire face et dans lequel tu me préviens que potentiellement, nous, celles et ceux qui t’aiment allons peut-être devoir faire face aussi. Je n’ai pas voulu entendre je crois. Pas tout de suite. D’ailleurs tu me le demandes, tu es dans la vie, tu es là, prête à te battre encore et tu attends que l’on t’envoie de la force et pas des larmes. Puis il y a la suite, trop rapide, inacceptable et inéluctable.

Je t’ai vue le 12 avril, j’ai pu te dire que je t’aimais et j’ai été si fière d’être là pour toi, David, Eva et Norah. Un moment suspendu d’une beauté si cruelle et d’un amour si puissant. Ces minutes restent gravées dans ma mémoire et mon cœur, pour toujours. J’aurais aimé te revoir encore. J’aimerais simplement que tu sois là. Guérie et forte. Tu l’étais dans mon rêve.

Nous ne devrions pas perdre nos amies si jeunes. Le cancer ne devrait pas exister. La justice des existences devrait être possible. Tu serais encore là, et nous irions boire un verre en terrasse. David devrait t’avoir à ses côtés et Eva et Norah devraient avoir leur mère.

Poser des mots sur cette injustice est un exercice du deuil peut-être mais cela a quelque chose d’ingrat. Je déteste cette expérience de vie. Elle est âpre et douloureuse. Elle fait mal au vide du dedans. Est-ce qu’un jour tu ne traverseras plus mes pensées chaque jour ? Est-ce ce fameux temps qui rend tout ça plus ou moins acceptable ? L’absence prend-elle un jour la forme d’une routine ? Autant de questions que la grandeur du vide.

En 2018, pour mes 40 ans tu m’avais écrit au début d’un petit carnet que tu me souhaitais de m’envoler en couchant sur ce papier cette créativité qui s’échappait de moi dans tous les sens. Tu me souhaitais de m’envoler. C’est toi qui t’es envolée ma douce. C’est comme ça que tu m’appelais, …ma douce.

J’espère que la lumière à laquelle tu tenais tant a pu t’accueillir et t’envelopper. J’espère que tu as eu des réponses ou des confirmations. J’espère que tu as pu retrouver des être aussi doux et aimants que toi et que depuis cette autre dimension que nous nommons la mort, tu es encore là, quelque part et que tu veilles sur les tiens.

Je t’aime mon amie. Merci de venir rire à mes blagues dans mes rêves. Surtout continue. Je ne veux jamais oublier ta voix.  

 

Cette photo est la dernière que je t'ai envoyée le 22 mars. Je te louais les cerisiers en fleurs.