Plaquer le job et être payée à faire un métier que j’aurais crée. Un job qui consisterait à mettre des paillettes au quotidien et à aider les gens à assumer les leurs tout en écrivant ma « average life in a very small city » avec le dressing de Carrie Bradshaw mais l’esprit de Blanche Gardin (la légère tendance anti-féministe en moins).
C’est à peu près à ça que je rêve tous les matins où je suis accroupie entre deux wagons de train blindé, train qui m’emmène passer 8h30 de ma vie par jour à développer mon rhumatisme mental face au monde tel qu’il est.
D’un autre côté, je ne l’ai jamais vraiment imaginé autrement, ou plutôt oui, sauf que j’ai rapidement compris que l’écho produit par mon imaginaire resterait probablement restreint.
Le souvenir de mon premier vertige ; j’avais 5 ans, j’étais en vacances avec mes parents à New-York, nous étions montés en haut d’une des tours jumelles. Derrière la baie vitrée, on pouvait percevoir le léger mouvement du bâtiment et on voyait surtout l’agitation d’en bas, l’infiniment bruyant, devenu alors l’infiniment petit et dérisoire. Ce souvenir est physique pour moi, jambes coupées par le vide et souffle happé par la prise de conscience. L’angoisse originelle.
Le temps passe, les parents divorcent, les grands-parents prennent le relai, ils meurent à deux ans d’intervalle alors que j’entre en adolescence. Surpoids, moqueries, étrangère à mon propre corps, un peu submergée par mon esprit.
J’ai 15 ans, je regarde un documentaire avec ma mère. Nous ne sommes alors plus que toutes les deux. Elle me laisse fumer des clopes et s’agace de mon amour du Nutella.
À la télévision, les images d’enfants des rues se succèdent, Rio je crois. Ils sniffent de la colle dans des sacs en papiers, ils volent pour survivre, livrés à eux-mêmes. Des regards dans le vide.
D’un coup, j’ai la sensation extrêmement douloureuse que mon plexus se déchire en deux et qu’une lame tranchante se précipite dans la plaie. Mon cœur s’emballe, vite, trop vite. Le souffle me manque, ma tête tourne, j’ai une peur irrépressible et l’idée certaine que je vais mourir. Première crise d’angoisse.
Commence alors une phase très longue, trop longue de ma vie. Une vie balancée entre les attaques de panique quotidiennes, une peur de mourir de tout en permanence et une médicalisation outrancière. L’angoisse m’accompagnant jusque dans mon sommeil, je me refusais d’ailleurs à dormir, luttant jusqu’au moment où mon corps abandonnait ou quand le médicament du moment était plus fort que moi.
Le psy chez qui on m’emmène est un des seuls du coin, il ne parle quasiment jamais pendant les séances et fume des clopes en même temps que moi. Il dégaine les ordonnances beaucoup plus rapidement que les phrases. Je les connais tous ou en tout cas, je les connais bien. Je ne les utilise plus depuis longtemps maintenant mais leurs noms restent gravés dans mes cellules sans doute. Je développe mes préférences, Xanax est le roi alors que lutter contre l’Immovane est un jeu. Prozac me rend folle. Solian fait de moi une épluchure de légume dans un compost.
Le temps passe, les kilos m’enrobent puis se dérobent. Les séjours au vert mais en blanc se succèdent. Je continue malgré tout. Des accalmies me permettent de finir le lycée, de passer mon bac. Le théâtre me sauve. Le reste de ma vie peut alors commencer. J’ai 20 ans.
Bien sûr il y aura des rechutes, mais elles seront moins fréquentes. Une sera plus grande et mettra sans doute un terme à un peut-être début de carrière pas si mauvais. Mais je ne le saurai jamais. Elle sera la dernière à ce jour. Il y aura surtout l’abandon des traitements qui ne me servaient vraisemblablement qu’à développer ma connaissance des molécules. Il y aura encore plus le départ pour Saint-Pétersbourg et un séjour qui remettra en place mes cellules et mon esprit et me donnera des perspectives. Puis la suite, l’Université (mais pas assez), mes jobs qui ne se ressemblent jamais. L’apprivoisement de ce que je suis quand je le comprends enfin après tant d’années d’errance ; à 33 ans.
La rencontre de mon amoureux, les enfants, le déplacement de l’égo et enfin une sorte de calme privé.
C’est un récit pudique, une sorte de témoignage avec un filtre pour Instagram. Au fond, je sais que la colère que je ressens souvent quand je regarde notre monde, vient aussi de là. La santé mentale ne doit pas être tue, il n’y a rien non plus de si important qu’elle doive néanmoins être criée. On fait comme on veut en fait. Mais elle ne devrait pas faire peur.
Après tout, nous vivons dans une réalité où des pompiers pyromanes souvent, nous dirigent, où l’écologie est vue comme un truc chiant par ceux qui décident de passer des accords de libre échange pour que l’on puisse tranquillement bouffer de la viande de l’autre bout du monde. Où militer est devenu un truc de « bien pensant » et où l’on estime que les féministes* desservent automatiquement leur cause à vouloir s’attaquer à plusieurs pans de la domination.
C’est vrai, c’est tellement poilant de se foutre de la gueule de celles et ceux qui ont des envies ou des convictions.
À mon sens, c’est plutôt ça qui devrait faire peur. Ce renversement des déconstructions.
Ce besoin irrépressible de chier dans les bottes des indigné.e.s sincères.
En même temps l’indignation est soldée sur les réseaux sociaux, la conscience tranquille se mesure au like. Le mot « bienveillance » est vidé de sa substance, devenu un élément marketing ou pire, de management en entreprise. Bon, je pose ça là. Cela n’a rien d’inédit. C’est simplement écrit comme ça, pour être écrit. Par besoin.
Je pense à un de mes amis chers qui me glissait son désarroi, car plus rien pour lui n’avait vraiment de sens. En réponse, je lui demandai s’il avait déjà essayé la religion. Rires, nous voilà bien avancés. Elle est sans doute là l’angoisse originelle. Elle nous submerge parfois et souvent on vit simplement avec.
Le monde continue sa course folle, chaque époque avec ses aberrances et ces autres qui préfèrent oublier leur santé mentale au profit du profit et au détriment de notre terre. Après nous le déluge.
Mélange de toute puissance abjecte face au ressenti d’impuissance désespérante.
Je tends au véganisme, ou du moins à une consommation restreinte et raisonnée des produits issus de l’exploitation animale, j’ai fait des enfants (paraît que je n’aurais pas dû si je voulais vraiment sauver la planète) je ne prends plus l’avion (ça m’arrange car c’est pas comme si je pouvais vraiment me le permettre) je n’achète plus trop de fringues, je consomme bio, de saison, local (enfin au début du mois surtout) j’expose mes convictions à mes collègues qui me prennent pour une originale, j’explique, je questionne, je m’éduque, j’éduque, je débats. Je m’essaie à la cohérence, je rame.
Notre monde entier devrait être sous Xanax. J’insiste sur un point fondamental, cela n’empêche pas d’être heureux.
Mais notre monde est tellement désenchanté qu’il peut faire frémir.
C’est effectivement particulier de se dire qu’au bout du compte, que ce soit Max Weber ou Mylène Farmer, c’est finalement le même combat.