Voilà, ça y est, j’ai 40 ans. Logiquement, et bien que je tente malgré tout de ne pas le faire, cet âge occasionne depuis un moment comme une sorte de bilan mental.
J’ai pourtant la sensation de ne pas être particulièrement en crise ; ni plus ni moins qu’avant en réalité. L’intranquilité est chez moi une façon d’être au monde, sans doute.
C’est ce caillou dans la chaussure qui m’empêche d’avancer de façon totalement sereine.
En même temps, cette dernière année ne fut pas la période la plus simple de mon existence ; mais elle a eu pour résultat de placer en perspective pas mal de choses en moi et de rétablir une sorte d’équilibre du regard sur ce que je vis et ce qui m’entoure.
Être confrontée à la médecine pédiatrique, la vraie, les épreuves liées à la santé d’un nouveau né, les séjours à l’hôpital, les croyances, les désirs de magie et j’en passe, m’ont rendue assez intolérante à l’ésotérisme de réseaux sociaux, à la bienveillance de pacotille et aux gourous en tout genre qui prône la fin de l’égo tout en vendant le leur, lequel en général prend plus de place que tous les malaises réunis de leurs suiveurs.
Pourquoi je m’agace avec ça ? N’est ce pas un peu d’énergie perdue ? Et finalement n’est ce pas tout aussi ego trip que de l’écrire pour le partager…?
Peut-être. Mais en même temps je n’ai rien à vous vendre, je n’estime pas être apte à vous aider pour quoique ce soit. Je vous parle ; si ça vous dit vous lisez et sinon vous laissez.
Je suis hyper perdue face au flot quotidien d’informations, aux polémiques, aux nouvelles modes alimentaires, aux tendances des pensées, aux néo-réacs qui pullulent dans tous les coins sous couvert de déconstruction du progressisme…
Sociologiquement, réflexe de base chez moi, j’arrive à faire le tri, à raisonner. Mais l’émotionnel vient toujours bousculer mon pragmatisme et ma capacité à m’en foutre pour me donner envie de « faire justice » (enfin comme j’estime que c’est juste bien sûr).
Je suis profondément atteinte par les choses que je ressens comme injustes, toujours et depuis toujours. Cela me tend, me fait mal et parfois m’attriste intensément.
Il y a ces temps tellement de petites roues dans ma tête que j’ai du mal à faire le tri. Je n’ai plus beaucoup de temps à moi, hormis au milieu de la nuit comme maintenant. Je n’ai plus le temps d’écrire autant qu’avant alors que j’en ai un besoin quasi physique. Mes carnets restent vides. Je ne me suis toujours pas remise au sport, alors que mon corps à présent trop lourd le demande en criant chaque jour. Bref je me plains et m’agace, mais c’est cette colère qui me fait avancer, qui me permet de ne pas me contenter et de me battre pour ce qui me tient vraiment à cœur.
C’est presque une forme de rage. Je ne suis pas agressive, enfin pas souvent, mais je peux l’être quand ça sort de moi et que je ne parviens pas à le dompter.
En même temps compte tenu de mon histoire, c’est quelque chose d’assez normal. J’ai passé beaucoup trop d’années à ne pas écouter mes pensées et envies. On m’a pendant longtemps aussi fait penser que je n’étais pas totalement équilibrée (comme si c’était possible) ; on m’a gavée de médicaments sans trop écouter ce que je racontais entre 15 et 20 ans.
J’ai fait les frais d’une psychiatrie assez agressive de province française.
Il me faudra sans doute un jour écrire sur le sujet.
Il aura fallu certaines rencontres pour que je remonte dans ma propre estime mais surtout il aura fallu que je le décide. Car je le pouvais. Cela n’est pas toujours le cas, on ne le peut pas forcément. Mais personnellement, le choix, la décision, auront toujours été porteurs d’énergie folle et de changement. Je ne parle pas de la décision que l’on prend au quotidien de faire une chose ou l’autre. Je parle de cette décision qui vient du plus loin en soi ; celle qui ne te laisse plus aucune autre possibilité que de l’écouter et d’agir en conséquence. C’est cette dernière qui m’a donnée la possibilité d’accepter de ne pas voler toujours complètement droit, de m’égarer souvent pour cueillir des fleurs au lieu de planifier le bouquet. Mais c’est cette ballade dans un monde où je me suis toujours un peu sentie sur le côté, ballade que j’ai décidé d’entamer vraiment vers 20 ans avec un caillou dans la chaussure au lieu de m’arrêter dans un coin sombre, qui a fait qu’aujourd’hui je me sens presque complète.
J’ai la chance d’avoir construit une bulle qui me rend intensément heureuse. Il manque évidemment une autre bulle, celle des heures les plus longues de nos semaines, celle où j’accepterais enfin d’avoir des ambitions et peut être des talents pour des choses. Oh je m’en sors toujours bien sûr, mais ce n’est pas vraiment complet. Et trop de trucs m’agacent tout le temps, ces « trucs » je les vois en général dès que j’arrive dans un système. C’est un peu fatiguant car même si je tente de ne pas les voir, ils me tapent à la figure quand même. Et il ne s’agit pas d’avoir raison, il s’agit alors de supporter ces trucs et de survivre dans ce système et surtout de se planquer un peu sans trop souvent hausser la voix. Faire tranquille ce qui nous est demandé sans trop pester contre les règles. On se fait à tout, un peu comme on se fait au lait de soja. Pour tout vous dire je trouve même ça bon. En même temps je n’ai jamais vraiment aimé le lait.
Ce qui me ramène à ma fille, qui elle non plus depuis qu’elle mange enfin sans sonde et pompe, ne veut pas voir approcher de sa bouche du lait artificiel à base de lait de vache. J’entends déjà celles et ceux qui me diront que le lait pour bébé, le vrai, est le lait maternel ; bah oui elles et ils ont raison mais en même temps je les emmerde là pour le coup, car leur bonne conscience n’aura sans doute jamais été confrontée à devoir faire avec la situation où t’as même plus le luxe de te demander si tu continues l’allaitement ou si tu passes au biberon. Quand tu vis ce genre de chose, tu fais comme tu peux, pas seulement comme tu veux. Dans ces cas là, le principe de décision que je chéris tant n’ose même pas approcher ton esprit sous peine de s’en prendre une.
Il est difficile encore à présent pour moi de faire la paix avec cette épreuve. Depuis que les choses vont mieux et que seul à présent le fait que tout ira bien est la seule chose qui compte, je constate encore que les traces sont là et peinent à partir.
Ma fille d’abord qui a développé une rage absolue de vie. Elle aura passé ses 4 premiers mois de vie avec un tuyau dans le nez et à dormir énormément, l’œil triste et la peau beaucoup trop pâle.
À présent, si elle fait une sieste par jour et s’endort le soir, c’est la fête. Du jour au lendemain, elle est devenue un autre bébé. Sans doute peut-être celle qu’elle est depuis le départ mais que l’insuffisance cardiaque empêchait d’éclore. Il y a en elle un tel désir d’en découdre que ça en est parfois troublant. Elle est énergie, joie de vivre, motricité de dingue et vivacité d’esprit indéniable. Parfois elle semble incapable à calmer.
Nous ne sommes plus épuisés par l’inquiétude, nous sommes simplement épuisés.
De mon côté, je me suis construit une carapace de chair. Quand ma fille ne mangeait pas, je dévorais. Il va me falloir du temps pour laisser tomber cette protection. Il va me falloir beaucoup de temps pour accepter que je n’y suis pour rien et que je n’ai plus ou tout simplement pas, à porter tout ça.
C’est bon Virginie. On peut passer à autre chose, reprendre la ballade, continuer à voir les couleurs, à les capturer parfois comme pour ne jamais les oublier. On peut envisager de commencer cette nouvelle dizaine en continuant le chemin mais cette fois en essayant peut-être de réaliser les ambitions soldées et surtout en laissant tranquille ce caillou que j’ai mis tant d’années à aimer.